Coupé du ciel, Cicuta incarne ce moment de rupture où l’être vacille, entre spasme et retrait, entre enfance figée et monde inatteignable. À la lumière de Jung, on peut y lire une déconnexion du plérôme, un effondrement du lien au Soi. L’homéopathie, ici, ne soigne pas seulement les convulsions : elle donne une forme au désarroi de l’âme.
Sur cette page
- La plante et le remède
- La symbolique de l’ombrelle ou du parasol
- Jung parle du Plérome
- Abasourdi par le choc
- Tendance aux spasmes et aux convulsions
- Retomber en enfance
- Solitude, violence et troubles cutanés
- En conclusion
La plante et le remède
Cicuta virosa ou ciguë vireuse, ciguë aquatique, des marais, persil des marais, persil de crapauds, persil des fous, persil de chat.
C’est une grande plante propre aux marécages. Sa tige est creuse et ronde. Ses parties aériennes ont une odeur qui rappelle celle du céleri et du persil. Sa racine coupée laisse sourdre un suc jaunâtre extrêmement toxique.
La préparation du remède homéopathique cicuta virosa se fait à partir du suc de la racine quand la plante commence à fleurir.
Cicuta est le nom de la ciguë et l’épithète virosa signifie toxique ou vénéneux en latin.
Cicuta virosa fait partie de la famille des ombellifères, plantes qui sont pourvues d’ombelles.
L’ombelle est une inflorescence dans laquelle les pédoncules floraux sont tous insérés au même point de la tige. Les fleurs sont toutes disposées sur une même surface sphérique ou parfois plane en une sorte de corymbe.
Le terme ombelle dérive du latin umbella (« ombrelle, parasol ») dérivé de umbra (« ombre »).
On peut en rapprocher le mot ombrelle qui est un appareillage dont le but est de se protéger du soleil en créant de l’ombre.
La symbolique de l’ombrelle ou du parasol
L’ombrelle ou le parasol symbolise l’activité qui protège les êtres. Ce dispositif les abrite du soleil, mais, ce faisant, il les isole du ciel . Peut-être aussi empêche-t-il que ce ciel ne leur tombe sur la tête. En ce sens, il permet d’ignorer la catastrophe toujours possible. Le parasol n’est pas seulement un symbole de protection : il est aussi un attribut royal, marquant l’autorité. Cette autorité peut être positive, mais elle peut aussi isoler l’individu du Soi et de l’anima, dans une posture dure et clôturée.
On retrouve chez la plupart des ombellifères une tendance convulsive, voire paralysante, comme si le sujet était ébranlé par un phénomène extérieur capable de l’agiter ou de l’anéantir. En fait, sa protection en forme de parasol est soit trop étanche, et il peine à évoluer, soit elle le coupe de l’énergie vitale car il est séparé du soleil et de l’énergie cosmique, soit encore, comme si le ciel lui tombait sur la tête, il est secoué de spasmes et de convulsions. Dans le cas de cicuta, son énergie va se concentrer dans la racine, aux antipodes de la tête traumatisée.
En fait, quand on est sous l’ombelle, on est coupé du ciel. On voit l’ombelle, comme on pourrait voir les nuages, mais le ciel, au-delà des mots, au-delà du relatif, on ne le perçoit pas et l’on croit que le ciel ce sont les nuages, qui pourtant ne lui appartiennent pas. On est dans le règne de la créature. On est coupé du plérome, du réel, de l’énergie vitale, représentée par la vacuité du ciel immense. Ce n’est pas qu’on pourrait saisir le réel mais, dans le cas présent, on ne peut même pas en pressentir la moindre émanation.
Jung parle du Plérome
Dans les Sept Sermons aux morts, Jung parle du Plérome, qu’il nomme Néant. Il faudrait y entendre plutôt vacuité, terme qui n’évoque ni le nihilisme ni l’idéalisme, et qui peut recouvrir plénitude et néant, au-delà d’une dualité trop approximative :
« Je commence par le Néant. Le Néant est identique à la plénitude. Dans l’infini, le plein ne se distingue pas du vide. Le Néant est vide et plein. Vous pouvez aussi bien dire autre chose au sujet du Néant, par exemple qu’il est blanc ou noir, ou qu’il n’existe pas, ou bien qu’il existe. Un infini éternel n’a pas de qualités, il a toutes les qualités.
Le Néant ou la Plénitude, nous l’appelons le Plérôme. En lui, la pensée et l’être cessent, car l’éternel-infini n’a pas de qualités, nul n’est en lui, car qui serait en lui serait distinct Plérôme et aurait des qualités qui feraient de lui chose distincte du Plérôme. »
« La Créature n’est pas dans le Plérôme mais en soi-même. Le Plérôme est le commencement et la fin de la Créature. Il passe à travers elle comme la lumière du soleil pénètre l’air de toutes parts. Quoique le Plérôme passe à travers elle complètement, la Créature ne participe pas de lui, pas plus qu’un corps parfaitement transparent ne devient clair ou sombre sous l’action de la lumière qui le traverse ».
Christine Maillard – Au cœur du Livre Rouge – page 11.
Le sujet est coupé du ciel, évidemment, et de ce fait il est coupé de ce qui en émane, du monde archétypal, de l’univers de l’inconscient. C’est la perte du stade de l’ouroboros (Erich Neumann – Origines et histoire de la conscience).
Il ne peut aller plus loin que le stade infantile, il reste indifférencié car il lui manque le lien avec l’essentiel. Il reste abasourdi, commotionné, spasmé et seul. Le ciel lui est tombé sur la tête ! Le moi est coupé du Soi et aboutit soit à un stade régressif infantile, soit sur un mode de confusion, d’isolement et d’amnésie, comme s’il avait reçu un coup sur le crâne, que le ciel lui était tombé sur la tête et que l’espace ouvert du ciel devenait inaccessible. Son poison s’est réfugié, concentré dans ses racines.
Abasourdi par le choc
Cicuta est abasourdi. Il est séparé du ciel par une ombelle qui lui cache la vue et qui pourrait peut-être lui tomber sur la tête. C’est un remède de suite de traumatisme crânien, de coup sur la tête.
Cet état peut aussi être la conséquence d’un traumatisme crânien à la naissance. Cette commotion sera responsable de troubles divers : céphalées, douleurs pouvant surgir à distance de l’origine du choc. Les symptômes peuvent être de type spasmodique, convulsif, faits de tiraillements, ou encore relever de comportements singuliers, comme une tendance à l’infantilisme.
Le sujet peut présenter un état de confusion, de désorientation, de perte de mémoire. Il a parfois de curieuses impressions, ne se situant plus bien dans le temps, avec une sensation d’étrangeté face à son environnement familier et à ses proches. Il devient indifférent, se sent perdu et doit faire des efforts pour se rappeler les choses, ce qui l’oblige à prendre des notes. Il est distrait. Parfois, il présente des troubles d’identité.
Ce tableau peut apparaître après une grande frayeur, un événement qui le frappe, le foudroie, qui lui assène un coup sur la tête.
Tendance aux spasmes et aux convulsions
Une des grandes caractéristiques du remède est la tendance aux spasmes et aux convulsions. Le système nerveux est dans un état d’irritabilité extrême. Le moindre toucher, la moindre pression, sont capables de déclencher un état convulsif. Kent précise :
« Les convulsions se propagent du centre à la périphérie ; la tête, le visage et les yeux sont les premiers touchés. Une aura dans l’estomac avertit de l’approche de la convulsion. Certains malaises partent du thorax, particulièrement du cœur. Les frissons commencent dans le thorax. Il y a, du côté du cœur, une sensation de froid qui s’étend de là aux autres parties du corps. Les convulsions commencent souvent du côté de la tête et de la gorge et irradient vers le bas. »
Kent cite également le cas d’enfants qui se mettent à loucher chaque fois qu’ils ont peur.
La gorge est particulièrement sensible. Si le sujet avale une arête, l’irritation peut être si considérable que des spasmes peuvent s’étendre à l’ensemble du corps. C’est un remède de spasmes de l’œsophage, également des vomissements.
Je me rappelle un patient qui souffrait depuis des années d’un état digestif catastrophique, avec des brûlures intenses et une sécheresse, la bouche acide, des aphtes, des brûlures anales et une acidité gastrique marquée. Il avait des douleurs de l’hypochondre droit et d’énormes éructations retentissantes, constantes. Cet état évoquait une autre ombellifère, Asa foetida mais l’anamnèse approfondie conclut finalement, avec bonheur, à Cicuta.
Retomber en enfance
Une autre conséquence de ce casque sur la tête, de cette obstruction à la vue céleste, pourrait être une impossibilité à capter l’énergie capable de faire évoluer le sujet vers un achèvement adulte. Cicuta reste un enfant, ou retombe en enfance. Il se réfugie dans l’enfance, avec un comportement singulier : il joue avec des jouets d’enfants, adopte des gestes ridicules. Il a parfois la démarche d’un gallinacé qui se dandine. Il veut rentrer à la maison. Il plaisante, est bavard, et peut même avoir tendance à chanter, à danser. Il a l’illusion d’être loin de chez lui, persécuté par des ennemis.
Cicuta peut avoir de curieux désirs alimentaires : désir de manger du charbon de bois, des pommes de terre crues, et d’autres choses peu comestibles comme de la chaux, du crayon d’ardoise, de la craie, ou de l’argile.
Je me rappelle un patient (celui-là même qui souffrait de spasmes digestifs) qui me raconta un rêve où il voyait sa mère morte au fond d’un camion. À propos de ce rêve, il me parla de son enfance et de sa naissance, qui avait eu lieu de façon dramatique, avec des forceps, au milieu d’hémorragies assez pathétiques. Puis il me parla de son très grand attachement à sa mère, et du fait qu’il avait dormi avec sa grand-mère jusqu’à l’âge de vingt ans. Évidemment, tout ce récit (ponctué d’autres détails concordants) ne pouvait que conduire à Cicuta.
Solitude, violence et troubles cutanés
Le dernier aspect de Cicuta est un caractère solitaire et assez misanthrope. Il est coupé du ciel, recroquevillé dans un monde infantile pour Cicuta, castré pour Conium maculatum (B. Long – Symboles et archétypes ). Ce retrait ne lui confère pas toujours un excellent caractère. Il peut effectivement avoir une aversion vis-à-vis de l’humanité, et même faire preuve de haine, bien que, paradoxalement, il ne soit pas exempt de compassion. Il peut être très affecté par les récits affligeants. Il peut être abrupt. Il peut fuir un monde dont il dénonce la bêtise et la folie. On pourrait parfois le trouver assez autoritaire. Parfois, il est violent : certains sujets peuvent mordre.
Cette grosse racine toxique provoque également des réactions cutanées évoquant une distance par rapport à la vie : c’est un remède de sycosis de la barbe, de poussées éruptives sur le visage, partout où croissent les poils des favoris, d’éruptions sur les joues, semblables à de l’eczéma.
En conclusion
Cicuta virosa est une ombellifère, comme Conium maculatum. Conium, la ciguë mortifère, voit son esprit abîmé, engourdi dans un corps. Son monde est un monde de vertige, de castration, de refroidissement du corps. Quant à Cicuta, il demeure spasmé et figé dans un univers infantile d’où il ne peut s’extraire. Il est coupé d’une énergie primordiale capable de le faire évoluer dans un monde adulte et socialement harmonieux.
Juin 2025
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Ouvrages
- Symboles et archétypes en homéopathie, reprend un certain nombre d’articles publiés sur ce site et les complète.
- Le Répertoire homéopathique des maladies aiguës complète utilement cet ouvrage.
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