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Jung / Nietzsche : Dieu ne peut pas mourir

Cet article se veut surtout une mise en lumière de ce que Jung pensait du célèbre, et mis à toutes les sauces, « Dieu est mort » de Nietzsche. J’y ajouterai ce que lui même pensait de Dieu ou plutôt de l’idée de dieu.

Ariane Callot

Ce que Nietzsche dit de Dieu

Dans Ecce homo, sans prononcer le mot dieu, Nietzsche parle d’une « intelligence suprême » et d’une « idée organisatrice » qui agirait en nous.

Ce qui le révolte, il le théorise dans l’Antéchrist, est l’idée chrétienne qui purifie Dieu de toute méchanceté. Il ne peut concevoir un Dieu qui ne connaîtrait ni la colère ni la violence. Il donne à la fade vison chrétienne de Dieu le nom ironique de « moraline ».

Pourquoi alors y a-t-il des prêtres et des pratiquants ? Nietzsche répond (dans Ecce homo) que c’est parce que rien d’autre n’est proposé, que le Dieu chrétien n’a pas de concurrents et que l’homme préfère quelque chose à rien.

C’est ainsi que dans Le Gai Savoir il a cette phrase cruelle : « il faut que les insatisfaits aient quelque chose à quoi pouvoir accrocher leur cœur : par exemple Dieu. »

Le meurtre de Dieu

Nietzsche, dans Le Gai Savoir, annonce d’abord (p. 453) que Dieu est probablement mort mais que c’est encore un sentiment ressenti seulement par des individus isolés. La question se pose aussi de savoir qui l’aurait tué. Ce serait alors le meurtre des meurtres.

Ensuite (p. 501) survient, sans doute possible, le formidable événement : « Dieu est mort ! Et c’est nous qui l’avons tué ! » voici venir, pense Nietzsche, un sentiment puissant et nouveau.

Ces quelques mots ont fait beaucoup écrire et beaucoup parler et il est évident que Jung aura son idée sur cette mort nietzschéenne de Dieu.

Que dit Jung sur Dieu

La relation de Jung à Dieu reste au niveau des émotions, de l’intuition et du ressenti. De cela il parle peu car il essaye toujours de limiter ses propos au domaine empirique. Ce n’est qu’à l’âge de 76 ans, quand il publie Réponse à Job, qu’il s’autorisera à dire ce qu’il pense et ressent, même si ce n’est pas vérifiable scientifiquement.

Le Jung affectif affleure dans la Correspondance, surtout tardive, et un peu partout dans l’œuvre mais ce ne sont que des lueurs car toucher au problème de Dieu n’est pas aisé pour un médecin qui a décidé de brider le côté irrationnel de sa personnalité.

Pourtant Jung à beaucoup à dire dire non sur Dieu lui-même mais sur l’idée de Dieu.

L’image de Dieu en l’homme

Jung pense que seule notre conscience s’imagine qu’elle a perdu ses dieux car ils font partie des caractéristiques instinctives fondamentales. Pour lui, l’idée de Dieu fait partie des « caractéristiques instinctives fondamentales du comportement psychique ainsi que de la pensée« . Correspondance tome 4 p. 204.

C’est seulement au niveau de notre conscience que nous nous imaginons, comme le dit Nietzsche, avoir perdu nos Dieux car il existe en nous une puissante image archétypique de la divinité.

L’homme n’est pas libre d’avoir ou non un Dieu

Qu’en est-il de ceux qui se disent athées ? Pour Jung l’image de Dieu peut être niée ou négative mais elle existe toujours à l’arrière plan car elle est imprimée par une longue phylogenèse psychique.

C’est pourquoi, comme il l’explique dans Psychologie et religion (p. 161), ce qui est le plus puissant psychologiquement dans un être humain devient son Dieu. Ce peuvent être l’argent, une passion dévorante, une idéologie ou toute autre force subjuguante.

Finalement, contre l’élément psychique très puissant que représente l’image de Dieu, l’homme n’est pas véritablement libre de lutter et le seul choix qui lui est laissé est la nature de ce Dieu.

On comprend que Jung ait pu sérieusement remettre en cause le sujet de la mort de Dieu qui fit la célébrité philosophique de Nietzsche. Il alla même jusqu’à douter de l’athéisme nietzschéen.

Qu’est-t-il arrivé à Nietzsche ?

Jung apprécie le Nietzsche qui compare la conscience à une surface sous laquelle œuvre une force organisatrice (voir Ecce homo, p.87) ou le Soi du Zarathoustra, ce maître du Moi, ce sage inconnu. Ils étaient associés à la vie du corps et à la joie d’une pure Nature. Mais ce qui aurait pu, dans la pratique, mener Nietzsche vers une vision divine un peu spinoziste ne dépasse pas le niveau des belles paroles.

Nietzsche demeura dans les hauteurs avant de tomber dans les profondeurs où le pâle criminel du Zarathoustra, auquel il s’était assimilé, souffre de soi à un tel point qu’il ne supporte plus d’être.

L’absence du pôle opposé

Une des raisons de l’échec de Nietzsche fut la quasi occultation de l’élément féminin en tant que pôle opposé.

Jung lui fait le reproche, non d’avoir tué Dieu en lui, car il n’y croit pas, mais d’avoir tenté de supprimer la femme. Il se demande comment il a pu avoir une vie du corps aussi misérable et une relation au pôle féminin si peu réussie, y compris dans sa vie personnelle.

Dans son œuvre, même si il glorifie parfois la femme, il ajoute bien vite qu’elle est sorcière, cruelle insaisissable. Le surhomme Nietzschéen, si il trouve femme, lui attribuera la tache d’enfanter, d’une manière symbolique, le surhumain.

Dans le Zarathoustra on peut lire un texte qui s’intitule Des femmes jeunes et vieilles. En voici un extrait très significatif :

« L’homme digne de ce nom n’aime que le danger et le jeu. C’est pourquoi il désire la femme le plus dangereux des jouets. »

Le refoulement des forces féminines est, lui aussi, dangereux et Nietzsche en subit les conséquences.

La quasi divinisation du Moi

Jung écrit :

« On ne consent pas à voir l’ombre ; celle-ci doit être niée, refoulée, ou gauchie en quelque chose qui sorte du commun. Le soleil est toujours éclatant et toutes les choses renvoient son éclat. Aucune place n’est laissée aux faiblesses qui portent atteinte au prestige. » Mysterium conjonctionis tome 1 p. 303.

Il résume là tout le cheminement qui conduira Nietzsche à sa chute.

Il ne supportait pas son ombre, cet homme le plus laid, ordinaire, peu glorieux, qui est en chacun de nous. Alors, il en a inventé un autre, plein de volonté et de puissance : Le surhomme. Ce surhomme a toutes les qualités et n’a plus besoin de dieux.

La quasi divinisation du Moi va attribuer au sujet pensant ce qui aurait dû être projeté sur l’image divine. C’est ce qui arrive à ceux qui se prennent pour un roi ou un Dieu et que la société nomme fous. C’est ainsi que Nietzsche se perd en Zarathoustra.

La mise en cause par Jung de l’athéisme de Nietzsche

Jung pense que Nietzsche n’a pas plus qu’un autre échappé à l’image de Dieu en lui. C’est pourquoi l’archétype divin a émergé sous la forme de Ainsi parlait Zarathoustra.

Ce livre fascinant, dans un style hiératique, va au-delà d’une œuvre poétique. Il est plus proche de la confession involontaire que de l’expression d’une pensée organisée.

Nietzsche pensait pouvoir se passer de l’image de Dieu mais elle était vivante dans les profondeurs de son inconscient. Le problème de celui dont le Dieu est mort est qu’il est guetté par l’inflation. Nietzsche à combattu l’image chrétienne du dieu de ses pères mais une partie de lui même est demeurée à la recherche du divin.

Selon Jung, l’athéisme de Nietzsche était d’ordre intellectuel alors que son tempérament était d’ordre religieux. Quand il se projette dans Zarathoustra il vit une tragédie. Son Dieu étant mort, il devient lui même Dieu et cela arrive justement parce qu’il n’est pas athée et que Dieu ne peut pas mourir en lui.

Et, comme il est dit dans Ainsi parlait Zarathoustra : « Dis la parole que tu portes en toi, puis brise toi. » 

Ce qui rapproche et ce qui sépare Jung et Nietzsche

Jung ne s’est pas brisé mais il a partagé avec Nietzsche la nature paradoxale d’une double personnalité.

L’une qui désire vivre et penser libre de tout présupposés théologiques. Celle-là se manifeste par le Dieu est mort de Nietzsche et l’affirmation souvent répétée de Jung de ne travailler qu’à partir de données empiriques et de s’en tenir à la psychologie pratique.

L’autre personnalité est représentée par le côté religieux et le besoin refoulé d’un Dieu de Nietzsche. Pour Jung, si on observe attentivement son cheminement, on peut dire que la quête d’un dieu acceptable, correspondant à sa profonde et intime expérience de la divinité fut, pour cette seconde personnalité qu’il appelle le numéro 2, le moteur de toute une existence. Entre la mort de Dieu et le Dieu des chrétiens il inventa une nouvelle voie : la relativité du divin.

Jung savait …

Nietzsche à essayé de tuer l’image de Dieu en lui mais c’est lui qui est mort psychiquement.

Jung à « ressenti » Dieu comme une expérience intérieure mais ne l’a pas conceptualisée car il s’en sentait incapable. Il savait simplement que l’image de Dieu était gravée en lui de manière indélébile. Dans les dernières années de sa vie il écrit :

« Nos images sont en règle générale des images de quelque chose […]

L’image de Dieu est l’expression d’une expérience sous-jacente de quelque chose que je ne peux pas atteindre avec des moyens intellectuels, c’est-à-dire par la connaissance scientifique, à moins de me livrer à une transgression irresponsable.

Lorsque je dis que je n’ai pas besoin de croire en Dieu parce que je « sais », je veux dire par là que je sais ce qu’il en est des images de Dieu en général et en particulier. Je sais qu’il y va d’une expérience universelle et, dans la mesure où je ne suis pas moi-même une exception, je sais que j’ai moi aussi une telle expérience que je peux appeler Dieu […]

Cette étrange force qui se manifeste pour ou contre mes mouvements conscients m’est bien connue. C’est pourquoi je dis : « Je Le connais. » Mais pourquoi devriez-vous appeler ce quelque chose « Dieu » ? Je répondrais : « Pourquoi pas ? » On l’a toujours appelé « Dieu ». » Correspondance tome 5 p. 138/139.

Tout est dit.

Je dois apporter quelques précisions aux lecteurs de ce texte sur les relations entre Jung et Nietzsche car le sujet est de taille : Dieu. Tout d’abord Christine Maillard y a consacré des textes essentiels. Ensuite je ne suis pas spécialiste de Nietzsche et il en existe d’excellents.

Ariane Callot, mai 2021

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