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Wolfgang Pauli, Carl Gustav Jung et la femme inconnue

Avec W. Pauli et C.G. Jung nous assistons à une représentation théâtrale donnée par l’inconscient dans une série de rêves.

Ariane Callot

Allons au théâtre des rêves

Je vous emmène avec C.G. Jung et W. Pauli à une représentation théâtrale très particulière. En effet, l’auteur principal en est l’Inconscient s’exprimant par l’intermédiaire d’une série de rêves.

Cette série de rêves proposée par Jung dans Psychologie et alchimie peut être interprétée, comme il l’a fait lui même, sous différents angles tels que formation d’un mandala, résonances alchimiques et autres. Ici, je choisis de ne m’intéresser qu’à la forme théâtrale et surtout aux dialogues et de poser sur le tout un regard « candide ».

Je pense que Jung aurait approuvé cette manière de regarder les rêves car il écrit dans son livre Sur l’interprétation des rêves (p. 48) que la plupart d’entre eux sont des « constructions dramatiques ».

L’écriture du texte de la pièce

Le texte de la pièce est écrit par des auteurs successifs.

L’inconscient qui est à la source mais ne peut s’exprimer directement car il parle une langue difficilement compréhensible. C’est donc le Rêveur qui est son messager.

Le Rêveur qui, même si les rêves lui arrivent dans sa langue, est souvent désarçonné par le côté chaotique et symbolique des messages.

On peut s’interroger sur le fait que la personnalité de ce rêveur, unilatéralement intellectuel, a une influence sur la manière dont il reçoit les messages de l’inconscient. Jung le voulait anonyme mais on sait qu’il s’agit du grand physicien Wolfgang Pauli.

C.G. Jung est le rédacteur ultime de la série de rêves qu’il présente dans Psychologie et alchimie et cela complique les choses.

En effet, ce que Jung présente n’est plus le texte original du Rêveur. Il a complètement élagué le récit des rêves pour en retirer tout ce qui lui semblait superflu, son but étant, tout au long de la série, de montrer l’élaboration du mandala qui sera une forme satisfaisante pour le Rêveur. Mais tout n’est pas perdu car il reste une histoire et des dialogues qui ont d’autant plus d’importance que Jung à jugé bon de les conserver.

J’ajouterai, pour ceux qui veulent lire la série complète des rêves de Pauli, que Jung les divise en deux parties : Les rêves initiaux et les Rêves d’édification du mandala

L’intrigue

Très simplifiée, l’histoire est celle d’une mystérieuse femme qui reproche au Rêveur de trop peu s’occuper d’elle. Un thème fréquent au théâtre !

Les reproches de cette femme, symbole de l’anima, et dont la présence quasi muette pèse sur toute l’intrigue, sont justifiés. En effet, le Rêveur, malgré tous les avertissements, fuit la féminité. Mais cette femme est puissante et obstinée. Même si le Rêveur ne l’admet pas, c’est elle qui mène la dance. 

On comprend, alors que se déroule la série de rêves, qu’il sera impossible au Rêveur de toujours fuir. Celle qu’il voudrait voir demeurer une obscure inconnue reviendra, encore et encore car, si il accepte de la regarder, il verra qu’elle est aussi génératrice de lumière. Il est impossible d’occulter l’image de l’anima.

Les personnages

Il existe des envoyés symboliques de l’inconscient qui, comme au théâtre, jouent des rôles dans les séries de rêves. Voici les plus importants.

Le Rêveur est l’acteur principal car c’est lui qui reçoit les songes. Parfois il participe directement à l’action, parfois il est observateur, et alors il raconte ses impressions.

La Femme Inconnue a un rôle très important et aussi multiple. Pour Jung, il s’agit de diverses manifestations de l’anima dans toute sa complexité. Même si son rôle est quasiment muet et si elle est souvent désignée sous le nom de femme inconnue, elle est omniprésente.

La Voix. Elle a un rôle essentiel car, à des degrés divers, c’est elle qui représente la plus forte manifestation de l’inconscient. Cela va du « on dit que » à une « voix dit » pour culminer à « une voix crie« . La voix forte correspond à la Grande Voix messagère de forces qui agissent dans les profondeurs de l’être.

Un prince (qui sait tout) un vieux maître, un vieux sage, un patron, toutes ces figures d’autorité et de savoir jouent le même rôle, sous des formes différentes : celui du Soi tel qu’il peut se présenter dans une série de rêves.

Les décors

L’action se situe souvent à l’extérieur. Par exemple une forêt vierge, la verte campagne, le fond de la mer, la nuit et le ciel étoilé.

Certains épisodes, très importants, se passent dans de véritables décors dont l’aspect théâtral est souligné comme le montre, par exemple, le Rêve no 17 :

« Toutes les maisons ont quelque chose de théâtral : il y a des coulisses et des décorations. Le nom de Bernard Shaw est prononcé. La pièce doit se jouer dans un avenir lointain… « 

Rêve no 17 (complet) : l'afficher

ACTION

PROLOGUE

Les rêves initiaux sont plutôt un prologue

L’inconscient cherche à communiquer au rêveur des choses importantes mais il est incapable de les comprendre car il ne sait pas ce qui lui arrive. Cet homme, unilatéralement scientifique, ne peut imaginer qu’une partie inconnue de sa personne s’adresse à lui.

Le Rêveur ne sait pas que, dans la représentation donnée par l’inconscient, il joue un des deux rôles principaux, l’autre étant celui de cette mystérieuse femme que l’on va appeler Anima. C’est pourquoi, au tout premier rêve, il se couvre d’un chapeau qui n’est pas le sien. On apprendra plus tard qu’il s’agit du chapeau d’un comédien.

Les voix ou les « On dit que« , semblables à des chœurs antiques, s’adressent à lui et il ne faut pas oublier que les voix disent toujours des choses importantes et irréfutables.

On commence par lui dire qu’il faut qu’il s’éloigne de Père et un peu plus loin qu’il n’est encore qu’un enfant. C’est dur à entendre pour cet homme qui est considéré comme remarquable et a une haute idée de lui même ! Et voilà qu’il lui faudrait s’éloigner de l’environnement scientifique, de la rationalité, pour accepter de n’être qu’un enfant ignorant dans un monde inconnu.

Le Rêveur cherche un secours contre ce qui le déconcerte et pense le trouver en engageant les services d’un homme avec une barbe en pointe style Méphisto. Il ferait bien de se méfier car c’est en lui même qu’il doit trouver de l’aide.

L’actrice principale est voilée et muette

Anima, dont le Rêveur ignore l’existence, a déjà un rôle important mais elle est peu visible. On la devine quand le rêve parle de nombreuses formes féminines ou de forme féminine voilée, ou d’une femme montrant un chemin. Il émane d’elle une luminosité, un côté solaire qu’il est incapable de voir car cette femme inconnue reste, pour lui, dans l’ombre.

La pièce peut vraiment commencer

A la fin de ce prologue, dans les deux derniers rêves, il se retrouve d’abord entouré de Nymphes. C’est alors que La Voix entre vraiment en scène en lui disant que ces émanations antiques de la féminité font partie de sa totalité mais qu’il est incapable de les voir. Il est ensuite mis en garde en ayant l’impression de se trouve dans une forêt vierge peuplée d’êtres menaçants.

Le danger de submersion par un inconscient que le Rêveur refuse de prendre en compte est à nouveau révélé par la Voix qui dit : Tout doit être régi par la lumière. Oui, tout est en place mais rien n’est simple au théâtre des rêves et on peut s’attendre à de l’obstination de la part de l‘anima et à une grande résistance du Rêveur. Dans la vie Pauli était connu pour être particulièrement têtu.

ACTE I

Anima se manifeste fortement. Elle poursuit le Rêveur et l’oblige à tourner en rond ! Telle une femme frustrée, elle lui reproche de se soucier trop peu d’elle. Il y a urgence car une pendule indique qu’il est moins cinq.

Diverses actions se passent pendant lesquelles l’anima se présente sous différents aspects mais elle n’arrive pas à se faire reconnaître par le Rêveur qui la voit comme une femme poupée inconnue muette et à laquelle on ne parle pas.

L’inconscient, représenté par la Voix, est furieux et menace le Rêveur de submersion de son moi en disant que l’on veut reconstruire le gibbon c’est à dire retourner vers l’animalité.

L’ombre, cette part obscure de nous mêmes, est bien présente. Cet intellectuel pétri de rationalité ne peut pas continuer de l’ignorer et il doit accepter d’aller voir à l’arrière de sa conscience.

ACTE II

Le rêve no 17 a été gardé par Jung dans son intégralité, ce qui montre son importance. Si le bref acte I situe le récit sur le plan psychologique nous sommes ici au cœur de l’action théâtrale. Ce rêve est très long et je vous conseille de le lire car il est impossible d’en rendre compte en entier.

Jung y a consacré de nombreuses pages dans Psychologie et alchimie. Si on ne regarde que le récit et les paroles prononcées, il est dit que :

  • Il s’agit bien d’une pièce de théâtre. Elle sera certainement jouée un jour même si les répétitions peuvent durer très longtemps.
  • Le Rêveur dialogue avec un ami au sujet de l’opposition, sur le plan symbolique, entre les cultes catholiques et protestants.
  • La femme inconnue passe de l’approbation aux larmes.

Tout ceci est très solennel que ce soit au niveau des textes ou des dialogues et le tout s’accompagne de fugues de Bach à l’orgue et d’un chœur qui dit à l’unisson : Nous confessons que nous demeurons en la puissance du seigneur.

Et puis, d’une manière surprenante, l’ambiance change complètement et la solennité laisse place à une fête où l’on mange, boit de l’alcool, écoute des chansons profanes. Le tout se passe avec l’approbation d’une église qui se voudrait maintenant anti-ascétique.

Le Rêveur est soulagé, il peut à la fois rester fidèle à des principes de rigueur et faire la fête !

Ce serait trop simple et les choses se gâtent au rêve suivant qui montre une scène très primitive pleine d’animaux et en particulier de serpents. On s’enfonce encore plus dans la matière avec une masse animale ou vivante encore informe d’où nait une tête humaine transfigurée.

La Voix est obligée d’intervenir en criant : Ce sont les tentatives du devenir. Il s’agir d’une nouvelle mise en garde contre un danger de submersion par des forces dangereuses de l’inconscient. Cela va arriver si le Rêveur continue à croire que tout va bien et qu’il peut ignorer cette femme qui avait fondu en larmes.

ACTE III

L’action se précise au rêve 22 où un ami dit au Rêveur dit qu’il n’aurait pas du laisser la femme inconnue et obscure attendre si longtemps en bas.

Rêve no 22 (complet) : l'afficher

C’est un message clair lui indiquant qu’il doit s’occuper de l’image de la femme en lui. Ce bon conseil est aussitôt contredit par un faux ami dont on peut penser qu’il est cette partie du Rêveur qui rejette le féminin.

On se retrouve dans une ambiance guerrière avec des soldats armés, l’ennemi étant le féminin.

Il est dit qu’il faut étrangler complètement la gauche même si elle est déjà faible. Cette scène forte est reliée à un symbole très ancien : La gauche est le mauvais côté, obscur, nocturne et de plus elle est profondément associée à un côté néfaste du féminin.

Il est clair que le Rêveur, même si il commence à avoir conscience de la présence d’Anima, lutte très fortement contre cette inconnue déplaisante.

Mais l’inconscient est puissant, Anima ne renonce pas. Elle appelle La Voix à son secours et celle-ci annonce au rêve no 26 : Maintenant cela va commencer. On arrête de tergiverser.

Rêve no 26 (complet) : l'afficher

Le Soi, symbolisé par le Patron (image du soi) d’une boite de nuit, explique qu’il n’est pas satisfait par ce qui se dit de la droite et de la gauche et le Rêveur répond : l’existence de la gauche ne contredit pas celle de la droite. Elles sont toutes deux en chacun de nous.

Le Patron est content et on se dit que le spectacle va s’achever par une fin heureuse et une harmonie retrouvée.

Ce serait trop beau … et le rôle de l’acteur principal est celui d’un être très attaché à ses principes. C’est pourquoi, comme s’il était pris dans une spirale, de prises de conscience en refus, il erre à la recherche d’un équilibre. Heureusement, la femme inconnue parle enfin clairement. Elle lui dit que : un jour il ne pourra plus fuir mais devra tenir bon.

ACTE IV

On arrive dans les derniers rêves de la série et une ultime chance est donnée au Rêveur.

Dans un premier rêve, un commandement retentit : Aux noyaux ! Cela signifie qu’il faut enfin aller au centre du problème et que, même si il faut pour cela le retenir prisonnier, le Rêveur doit évoluer.

Au rêve suivant, la Voix crie : Ne le laissez pas sortir, il ne veut pas payer l’impôt. Il est là le problème, il ne veut rien lâcher. 

Le dénouement provisoire se passe au grand rêve no 54.

Rêve no 54 : l'afficher

Le Rêveur le qualifie d’expérience puissante. Il rentre dans un décor agencé de manière solennelle qui s’appelle la Maison du recueillement. C’est là qu’il entend une voix qui, pour moi, est probablement celle du Soi.

La Voix s’exprime avec force et délivre un message qu’il me semble important de lire en entier car il résume à lui seul tout l’enseignement que l’inconscient tente de délivrer par l’intermédiaire du théâtre des rêves :

Ce que tu fais est dangereux. La religion n’est pas l’impôt que tu dois payer pour pouvoir te passer de l’image de la femme, car cette image est indispensable. Malheur à ceux qui utilisent la religion comme substitut d’un autre aspect de la vie de l’âme ; ils sont dans l’erreur et seront maudits. La religion n’est pas un substitut ; elle doit au contraire venir s’ajouter aux autres activités de l’âme comme perfection dernière. C’est de la plénitude de la vie que tu dois engendrer ta religion ; alors seulement tu seras bienheureux !

S’agissant de Pauli, il faudrait peut-être accompagner le mot religion du mot science dans ce grand message.

Cependant c’est Anima qui prononce les dernières paroles de la pièce. Elle dit qu’elle reviendra. 

Le cinquième acte n’est pas écrit

Cette représentation symbolique du discours de l’inconscient est une tragédie. En effet, ce qui arrive au Rêveur/Pauli est souvent dramatique et sa psyché cours de grands dangers. Les tragédies sont généralement en cinq actes mais, dans ma version personnelle du récit de la pièce, j’ai choisi de n’en proposer que quatre.

En effet, l’action n’est pas terminée. Même si le Rêveur à reçu un message très intéressant on reste dubitatif sur la manière dont il va l’appliquer pour acquérir la plénitude de la vie. Jung, dans Psychologie et alchimie termine la série par la grande vision de l’Horloge du Monde.

Vision no 59 (complet) : l'afficher

C’est un grand rêve d’aboutissement qui apporte beaucoup de satisfaction au Rêveur mais reste très « intellectuel ». De plus, dans cet ouvrage, Jung est à la recherche de la construction du mandala satisfaisant et non d’un scénario et des dialogues de l’inconscient.

L’anima, malgré une amélioration dans la relation de Pauli avec le féminin (il s’est marié), dit qu’elle reviendra et on voit bien que cette série de rêves n’est qu’un épisode.

La représentation de l’inconscient dans les rêves est comme les vagues qui arrivent sur le rivage, c’est une représentation perpétuelle…

Ariane Callot – août 2021

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