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Les mains d’Orphée

Un rêve a surgi, étrange et lumineux : « Orphée se tient debout, face à une assemblée. Il semble parler, et un apaisement s’opère. Et alors que tout semble s’arranger, Eurydice entre, portant des chandeliers allumés. Elle réalise que ces chandeliers ne sont autres que les mains d’Orphée. »

L’objet de cet article est de proposer une lecture symbolique des mains, sans chercher à comprendre ce que ce rêve « signifie », ni à analyser le mythe d’Orphée et Eurydice. L’approche se veut essentiellement contemplative pour laisser l’image des mains nous parler.  Claire Droin


Image générée par IA

Sur cette page :

Introduction

Dans le rêve, les mains d’Orphée, devenues flambeaux, éclairent, mais sont aussi séparées de lui. Ce ne sont plus des mains qui touchent ou jouent de la musique mais des objets de lumière. Les mains d’Eurydice quant à elles, présentent ces objets au monde et offrent le feu au regard collectif.

C’est surtout cela qui m’a frappée au réveil : le fait que ces mains soient montrées. Comme si elles devenaient, en se détachant, porteuses d’un sens qui les dépasse. C’est alors qu’une question a émergé, simple mais entêtante : Que disent les mains ?

Je vous propose d’observer cette image du rêve, comme si celui-ci nous avait invité, au fond, à présenter nos mains à notre propre conscience. Nous explorerons différentes dimensions symboliques de la main : sa relation à la lumière, à l’ombre, sa perte et sa transformation.

La main et la lumière

Dans ce rêve, les mains d’Orphée sont devenues des chandeliers allumés. Cette transformation appelle une réflexion sur les liens symboliques entre la main et la lumière. Deux images opposées se présentent :

La main de gloire

La « main de gloire » est l’image la plus proche de celle rêvée. Historiquement, il s’agit de la main coupée d’un cadavre dont les doigts portent des flammes ou des chandelles. Transformée en objet magique, elle éclaire l’espace tout en paralysant ceux qui s’y trouvent. Son usage est attesté du XVe au XVIIIe siècles, dans certains pays d’Europe, et apparaîtrait aussi de manière similaire au XVIe siècle dans une tradition amérindienne du Mexique.

La lumière ici n’éclaire pas pour animer ou réchauffer, mais pour figer. Dans cette image, la main devient objet, instrument d’immobilisation.

La main de grâce

À l’opposé, l’Égypte antique représente le dieu solaire Aton comme un disque d’où s’échappent des rayons terminés par des mains. Ces mains sont des extrémités de lumière : elles symbolisent une transmission du créateur. Le rayon solaire devient un geste dispensant la vie, le pouvoir divin, comme le montre Carl Gustav Jung dans Métamorphoses de l’âme et ses symboles.

Métamorphoses de l’âme et ses symboles- CG Jung -format poche -P 187

Plus récemment, la peinture de Peter Birkhäuser, La danseuse du feu (1974), commentée par Marie-Louise von Franz , illustre également cette dynamique : le féminin « intercède et apporte le feu divin, la force créatrice. » La lumière sort des ténèbres, p. 88-89

Ces deux figures— la main coupée chandelier et la main-rayonnante — peuvent être vues comme les deux pôles d’une même réalité psychique : la main contient en elle l’ambiguïté et le pouvoir du feu. La main, porteuse de feu, peut à la fois pétrifier ou animer, dominer ou transmettre.

La danseuse du feu – Huile 1974 ; lithographie 1975 – Peter Birkhäuser

La main est liée à la lumière or celle-ci ne peut exister sans obscurité. Nous allons donc maintenant explorer l’autre côté, l’ombre de la main.

L’ombre de la main

Étonnamment, Orphée serait issu du mot grec orphen, signifiant « obscurité ». Les mains d’Orphée sont aussi porteuses d’ombres. On retrouve des ombres de mains notamment dans les formes de mains présentes dans les grottes et dans les spectacles d’ombres chinoises.

Main négative – Grotte de Tibiran (Hautes-Pyrénées) – Photo FM Callot

Jung associait à l’image de la grotte au « monde obscur de l’inconscient » (Psychologie et Alchimie p 424) ; un lieu matriciel, souterrain, où s’opère l’élaboration silencieuse de la psyché. Dans l’art pariétal paléolithique, on trouve des empreintes de mains (positives ou négatives) sur les parois de grottes, des mains entières ou mutilées comme à Gargas (Hautes-Pyrénées, France), elles semblent apposées comme des signatures. Elles ne tiennent rien, n’ont aucun attribut, elles ne montrent rien, elles sont pures présences, traces de l’être laissées dans la matière et dans le temps.

Par ailleurs, les ombres projetées en plaçant ses mains dans un faisceau lumineux (l’ombromanie) créent des formes, des personnages, des caractères. Après avoir été utilisées à des fins religieuses pour évoquer l’âme des morts, cette pratique traditionnelle est devenue une forme de spectacle populaire en Orient comme en Occident où, au XIXe siècle, elle permettait de caricaturer les personnalités.

Illustrations de Silhouettes animées à la main -Victor Effendi Bertrand 1892

Ainsi, l’ombre et la forme des mains seraient porteuses de traits individuels. Ceci est aussi souligné par Carl Gustav Jung dans l’introduction qu’il fait du livre The Hands of Children de Julius Spier dédié à la psycho-chirologie :

« La conception de la totalité, qui caractérise la biologie moderne et repose sur un grand nombre d’observations et de recherches, n’exclut pas la possibilité que les mains, dont la forme et le fonctionnement sont si intimement liés à la psyché, puissent fournir des expressions révélatrices, et donc interprétables, de particularités psychiques, c’est-à-dire du caractère humain. » The Hands of Children- Julius Spier – page XV (traduction personnelle)

La main est un élément de reconnaissance d’un individu. Dans le rêve, Eurydice reconnaît les mains d’Orphée, bien qu’elles soient séparées de lui : la main garde une identité, même dans la perte.

Perdre la main

La main est synonyme d’agir, de faire et de responsabilité (on se lave les mains pour s’en décharger). Elle est également un insneutraliser l’action fautive. Elle prive l’individu non seulement de sa capacité d’agir, mais surtout de nuire. Cette pratique a existé comme punition dans de nombreuses cultures.

Dans le monde antique, le Code d’Hammourabi (env. XVIIIe siècle av. J.-C.) prévoyait l’amputation pour les voleurs ou les faussaires. Dans le Coran, la peine est évoquée pour les voleurs dans le verset 5:38 de la sourate al-Ma’ida :« Le voleur et la voleuse, à tous deux coupez la main, en punition de ce qu’ils ont acquis, comme châtiment de la part d’Allah. » Ce verset a fait l’objet, au fil de l’histoire musulmane, d’interprétations diverses, parfois littérales. Dans la Bible, cette idée est également présente sous une forme plus métaphorique. Jésus lui-même emploie l’image de l’amputation pour exprimer le renoncement volontaire au mal : « Si ta main droite est pour toi une occasion de chute, coupe-la et jette-la loin de toi… » (Matthieu 5:30).

Dans tous ces cas, la disparition de la main rend l’acte répréhensible impossible. Elle désarme, empêche d’agir, mais rend aussi vulnérable, dépendant. Ceci est illustré dans le conte des frères Grimm, La Fille sans mains, où une jeune femme voit ses mains tranchées par son propre père. Cet acte la prive non seulement de ses gestes, mais de son autonomie. Elle devient passante, errante, incapable de prendre ou de repousser.

Et pourtant, cette mutilation amorce une transformation. La jeune femme, par sa traversée de l’impuissance, rencontre l’amour, la maternité, la foi et finit par retrouver ses mains, régénérées. Le conte dit ainsi que la perte de la main peut être un passage pour recouvrer sa propre puissance.

Une rupture de la relation

La perte des mains ne concerne pas seulement le « faire » : elle atteint aussi le lien. La main est l’organe du toucher, du contact et sa disparition perturbe profondément la capacité à être en relation avec autrui.

Ainsi, dans un registre plus moderne, Edward aux mains d’argent de Tim Burton incarne un être doué d’un pouvoir créatif extraordinaire, mais empêché de relation. Ses mains, faites de lames, sculptent avec génie mais ne peuvent ni toucher, ni caresser sans blesser. Ce conte souligne le lien entre pouvoir de créer et vulnérabilité de la relation, entre exclusion et acception de soi.

Dans le rêve, Eurydice apporte les mains d’Orphée à l’assemblée. Or Orphée est son mari, celui à qui sa main a été donnée. Cela semble sceller leur lien, leur union dans l’esprit jusque dans la mort. C’est le féminin – le lien, l’intériorité, l’éros – qui rend visible ce que le masculin – l’action, l’élan créateur, le logos – ne pouvait montrer de lui-même : le feu. Les mains d’Orphée sont sacrifiées dans le processus, mais c’est cette perte qui permet une mise en lumière à travers la transformation.

Ainsi, à travers ces exemples, il apparait que la main est la synthèse d’opposés : action et lien, masculin et féminin, pouvoir et impuissance. Il ressort aussi que la perte des mains est synonyme de passage, de transformation psychique, de métamorphose.

La transformation de la main

Lorsqu’elle se métamorphose, la main n’agit plus, et n’échange plus de la même manière. Cependant elle garde quelque chose de sa personnalité, elle est reconnue même sous une autre forme.

D’une manière générale, la main se transforme au cours de la vie, elle change au cours du temps. Elle vieillit, se marque, porte les stigmates du passé (comme les mains du Christ) et tend vers l’avenir (lecture des lignes de la main, chiromancie).

A travers la métamorphose, on trouve à la fois l’idée d’une perte et celle d’une prise de liberté. Dans L’analyse des visions, ces deux aspects apparaissent sur les dessins de Christiana Mora, une patiente de Carl Gustav Jung :

  • les mains deviennent des branches, des feuilles et s’élèvent vers le ciel, libres.
  • les mains plongent dans la terre, s’y enracinent, comme prisonnières.

Planches 9 et 32, L’analyse des visions, le séminaire de 1930-1934, Carl Gustav Jung

Dans le rêve, les mains d’Orphée ne sont pas simplement transformées : elles ont « changé de mains ». Orphée et Eurydice sont unis par les liens du mariage, et leurs mains sont intimement liées.

La métamorphose implique une dépossession : les mains n’appartiennent plus à Orphée, mais elles gardent son identité : Eurydice les reconnaît. Ainsi, la main, même perdue, même transformée, peut continuer à signifier. Elle peut devenir un symbole à transmettre, une lumière à partager, une mémoire à honorer, à l’image des mains d’Orphée portées par Eurydice à la vue de tous.

Conclusion

Le rêve ne donne pas de réponse, mais il pose une image forte : celle de mains devenues chandeliers, révélées au monde. Ce ne sont plus des mains qui agissent, qui touchent, qui jouent, ce sont des mains qui éclairent et qui sont montrées.

Dans leur lumière comme dans leur mutilation, elles disent notre pouvoir d’agir, mais aussi notre fragilité. Elles disent ce que nous sommes, ce que nous avons perdu, ce que nous portons encore, et peut-être ce que nous avons à transmettre. Présenter nos mains, comme dans ce rêve, serait une manière de faire un pas vers la conscience de soi, d’accepter qu’à travers elles, quelque chose continue de parler de nous.

En s’appuyant sur cette allégorie, nous avons observé comment les mains, successivement lumière, ombre, absence puis métamorphose, deviennent message. Le rêve semble ainsi suggérer que ce qui est perdu dans l’action et le lien pourrait être retrouvé dans le pouvoir du feu et de l’image, de l’esprit et du symbole.

Juillet 2025

Adresser un message à Claire Droin

 

Claire Droin

Basée à Villefranche-sur-Saône, au nord de Lyon, Claire Droin exerce en tant que psychopraticienne et anime des ateliers visant à explorer et approfondir la connaissance de soi.

Claire s’intéresse à la pensée de C.G. Jung et à sa vision du monde psychique, trouvant dans ses ouvrages une source d’inspiration et de compréhension approfondie.

A travers sa pratique et grâce à sa contribution à l’Espace Francophone Jungien, en qualité de secrétaire, Claire a à cœur d’aider l’être humain à mieux comprendre sa nature profonde.

Pour en savoir plus, voir son site internet PBAtitude

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