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Sens et structure fondent la psyché collective humaine

"J’ai l’espoir anxieux que le sens l’emportera et gagnera la bataille."
C.G. Jung - Ma Vie

Les complexes étayent la personnalité individuelle

Compte tenu de l’atmosphère bourgeoise et sexuellement rigide qui règne à Vienne à la fin du XIXe, Freud découvre grâce à son auto-analyse puis chez ses patients un noyau psychique inconscient, organisateur de la personnalité, qu’il nomme complexe d’Œdipe (Note 1).

Il faut chercher dans l'enfance ou la prime enfance (cf. A. Freud, M. Klein, D. Winnicott) les prémisses de nos tourments d’adulte. Le complexe s’articule autour d’un enchevêtrement de représentations fortement chargées d’émotion (il est idéo-affectif). En tant que vécu, mi-conscient et mi-inconscient, il concerne la psyché individuelle.

Celui d’Œdipe est forcément sexuel, selon la vision freudienne de la libido. Cette théorie et la psychanalyse qui en découle montrent que les complexes se répercutent sur le moi, lui-même complexe du sujet, impactant largement sa liberté.

De son côté, Jung a lu Freud et établi des listes de mots inducteurs pour cibler les complexes de ses patients (Note 2).

L'araignée taoïste (Note 12)

Sens et structure de la psyché

Si Freud s’intéresse aux névroses, Jung tente de saisir les psychoses, cherchant les fondements abyssaux de la psyché collective.

Après sa rupture d’avec Freud, il va nommer sa méthode psychologie analytique. D’un côté, il garde le terme d’analyse hérité de Freud et, de l’autre, celui de psychologie hérité de Janet qu’il cite dans ses écrits, surtout pour ses notions d’abaissement du niveau mental et de fonction du réel. Il reprendra subrepticement celle-ci dans sa métapsychologie : ce sera la fonction de sensation.

Les écrits de Janet sur la mentalisation évoquent la tradition française de typologie (cf. le Traité de Caractérologie de Le Senne, magistère en psychologie Note 3).

Jung tente donc de relier la psychanalyse qui surfe nouvellement sur l’inconscient et investigue ses contenus à la tradition de psychologie qui depuis l’Antiquité étudie l’organisation et le fonctionnement de l’appareil mental humain. Il s’oriente selon ces deux directions :

  1. l’une vers le sens (l’analyse)
  2. l’autre vers la structure de la psyché (la psychologie), théorisant tout cela vers 1915-1920.

Ces deux axes complémentaires se voient d’abord dans le Livre Rouge, puis clairement dans les Types Psychologiques.

Du côté du sens

Du côté du sens, on trouve les archétypes, facultés préformatrices (Note 4) vides de contenus spécifiques mais capables d’animer des symboles que les mythologies ou les religions traitent à leur façon.

Les archétypes possèdent des potentialités imaginales qui ont leur contrepartie dans les instincts physiques, ces deux versants appartenant à ce que Jung appelle le psychoïde qui est une zone tampon entre le physique et le psychique.

Il est très vraisemblable qu’il existe au sein de ce psychoïde des éléments originaires proto-archétypiques, modélisateurs à la fois du physique et du psychique, tels les couleurs fondamentales, les formes géométriques primordiales, les sons basiques ou encore les premiers nombres naturels. Note 11).

Les archétypes délivrent un sens abstrait (imagé), pourvu qu’ils trouvent les objets externes correspondants, animant en retour la vie instinctive (cf. Les racines de la conscience), l’abstrait et le concret se mariant dans le symbole.

Les archétypes sont donc les mandataires du sens, surtout le Soi qui transcende les contraires. Jung le nommera Imago Dei en référence à l’Esprit inconnaissable (Note 5). Le cerveau (corps instinctuel) et la psyché (esprit imaginal) forgent ainsi du sens car ils détestent le non-sens.

Le symbole, touchant autant au concret par l’extraversion qu’à l’abstrait par l’introversion, croise ces deux attracteurs. Le coït physique du couple et les images liées au mariage ont pour le symbole la même capacité d’induction mais sur des plans différents, permettant une adéquation de nos comportements physiques (naturels) à nos représentations mentales (culturelles).

L’amour charnel et l’amour spirituel se con-joignent donc dans le symbole. Or, le langage, véhicule de la pensée chez l’humain, répète lui aussi avec les tropes cette connivence du symbole entre extraversion/introversion, via la métonymie (le concret) et la métaphore (l’abstrait) (Note 10).

Du côté de la struture

Du côté de la structure, il existe une architectonie neurologique et psychologique, constituée de deux dimensions (introversion et extraversion) et de quatre fonctions (intuition, sensation, sentiment, pensée).

Quoi que nous fassions, nous ne pouvons pas nous abstraire de cette infrastructure (l’inconscient naturel) puisqu’elle fonde à notre insu notre superstructure (le conscient culturel), au minimum depuis l’homo sapiens sapiens.

Mieux vaut donc comprendre son organisation et les mécanismes qui nous régissent afin de ne pas trop déréguler l’homéostasie intrinsèque de cette architectonie par nos excès conscients, quoique certains moments de crise qui jalonnent notre parcours personnel nous imposent, souvent à contre-cœur, des tournants existentiels (Note 6) tragiques.

Même si cette structure relativement rigide peut d’un coup retourner le moi telle une crêpe, à l’endroit ou à l’envers, en raison du fonctionnement cybernétique de la psyché, nous devons trouver un sens personnel à notre vie par son intermédiaire.

Les complexes sont une formation individuelle postérieure à la structure collective de la psyché

Il est clair dans ce contexte que les complexes, même s’ils agissent à l’insu du sujet, sont une formation individuelle postérieure à la structure collective de la psyché qui s’enracine dans le neurologique et le biologique. (Note 7)

Comment demander à un nouveau-né d’avoir des complexes puisque sa personnalité est à peine en chantier ? On sait en revanche qu’il peut se laisser dépérir si la sollicitude maternelle ne satisfait pas ses besoins vitaux.

Le narcissisme risque de ne pas être vécu positivement à travers les fonctions proximales de sensation et de sentiment qu’il expérimente pour que la confiance en soi et en ses capacités de résilience face à l’adversité se construisent en lui.

Les Japonais disent, à juste titre, que l’âme d’un enfant de trois ans perdure jusqu’à cent ans (mitsugo no tamashii hyaku made/三つ子の魂百まで).

Entre sens et structure, Jung pose incidemment les jalons d'une transculturalité que pour ma part j’ai nommée anthropoculturalité pour signifier que les divergences culturelles constatées ici ou là se fondent en réalité sur un fonds anthropologique commun (l’inconscient collectif) (Note 8).

Il faut donc se coltiner le sens et la structure si on fait de la recherche dans ce champ-là, selon la vision junguienne de la psyché et de ses contenus, car elle est universelle, c'est à dire standard : peu importe qui la porte. On peut l’adapter au champ transculturel, à condition de la comprendre et d’être familiarisé avec la culture et la langue d’accueil.

Enchevêtrement du sens et de la structure

Si la structure porte en elle la complexification de la matière depuis l’origine de la vie, le sens pour sa part porte en lui l’Intention primordiale animant secrètement la Création, les deux se répondant forcément au niveau abyssal (Note 9). Sens et structure s’enchevêtrent donc pour impulser notre projet de vie personnel car celui-ci rejoint souterrainement le projet primordial de la Création tout entière.

C'est certainement ce ce que Jung voulait dire lorsqu’il affirmait que chacun de nous doit expériencer une attitude religieuse lui correspondant. Notre configuration psychologique fait que nous sommes ou pas disposés à croire mais, au final, en dépit de tous nos déterminants (culture, environnement, vécu, équation personnelle, etc), chacun de nous doit, d’une façon ou d’une autre, retrouver en soi un contact individuel avec la Déité pour être à nouveau relié à l’Éternité.

De ce côté-là, c’est terrible car il n’existe qu’un seul choix : il faut aimer en nous cet Inconnaissable radical qui va à l’encontre de notre petit moi.

Il n'y a aucun moyen de prouver l'existence du créateur

Mais la grandeur et le tragique de l’homme sont aussi dans cette aporie intellectuelle car il n’a aucun moyen de prouver logiquement l’existence ou la non existence d’un Créateur.

Camus nous dit en substance qu’en roulant absurdement sa pierre d’impiété Sisyphe (Cf. Le mythe de Sisyphe) «est supérieur à son destin… plus fort que son rocher», et que donc «il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide

Répéter sans fin la culpabilité de Sisyphe ou s’ôter la vie de ses mains pour dévisager l’angoisse de mort dans les yeux obligent forcément le moi à déchoir, l’espoir naissant du tréfonds du désespoir. À la fin, la pensée doit se taire (ni apophatique, ni cataphatique) sur la question essentielle de l’Origine, réduite au silence par la docte ignorance. Reste alors la foi, panacée universelle si elle reflète l'authenticité du sentiment religieux (ni foi aveugle, ni foi du charbonnier).

Inutile donc d’adhérer à une confession particulière, il suffit juste que l’âme soit ici et maintenant le témoin d'une révélation intérieure qui jaillit naturellement des profondeurs de soi - et du Soi. Nulle preuve à la fin : seule une épreuve périlleuse pour éprouver l’amour infini, plus enivrant et numineux que tous les autres, transportant enfin notre finitude humaine vers les confins de l’Éternité.

Le sentiment religieux s'est édulcoré au fil du temps

Dans les cultures indo-européennes, le sentiment religieux s’est hélas édulcoré peu à peu sous l’emprise grandissante de la pensée à partir du Ve siècle avant J.-C., lors de la naissance de la philosophie grecque qui critiqua le bien-fondé des mythes ou encore avec l’avènement du bouddhisme en Inde, religion par excellence de la philosophie du Néant.

À la même période, Confucius fut un génial moraliste qui systématisa des notions sur le modèle de la famille pour harmoniser les liens sociaux, , surtout celles de vertu (dé/德), de piété filiale (xiào/孝) et des rites (lǐ/礼), qui subsistent toujours en Asie.

Ces exemples historiques montrent qu’à partir de cette période la pensée a pris son essor au détriment du sentiment spontanément religieux qu’elle a fini par dévaloriser.

Notre moyen-âge empreint de l’amour christique subira un sort identique. La pensée va inférioriser le sentiment religieux à partir de la Renaissance, puis de la Révolution, pour déboucher sur l’agnosticisme, l’athéisme, le scientisme et son dernier avatar le communisme.

L’extraversion ambiante des sociétés modernes a donc fini par gommer puis dégommer la vie fantasmatique du sujet en désenchantant son monde intérieur. Il y eut certes des victoires scientifiques importantes gagnées sur l’obscurantisme (cf. la relativité générale ou la mécanique quantique, etc) car la pensée porte le flambeau du savoir mais elle ne peut donner plus qu’elle ne possède, à part le doute et l’incertitude.

Jean-Claude JUGON - Septembre 2018

Notes

Note 1 Même si Freud considère l’Œdipe et la castration comme des complexes centraux, il en existe bien d’autres. Par exemple, les complexes père et mère (attachement de l’enfant pour un des parents), frère et sœur (attachement pour un collatéral), ceux de Caïn (jalousie pour un collatéral cadet), d’Abraham (haine du père pour le fils), d’Électre (attachement de la fille à son père), d’Ajase (rancune du fils pour sa mère), de Cendrillon (envie passive d’un prince charmant), de Blanche-Neige (haine avec maltraitance de la mère pour sa fille), du Messie (il faut sauver l’humanité), de Diane (refus du mâle pour la virginité), de Pygmalion (amour pour un idéal féminin artificiel), d’Oreste (vengeance matricide), de Daphné (désir de virginité), de Lolita (attrait sexuel d’hommes mûrs pour des adolescentes sexy faussement candides), ou encore le banal complexe d'infériorité. Cette liste n’est bien sûr en rien exhaustive. Retour
Note 2 Certains attribuent la paternité de ce terme à Th. Ziehen (neuro-psychiatre allemand) ou à Jung mais il était déjà très probablement « dans l’air » à cette époque. Retour
Note 3 Le Senne avait lu les Types Psychologiques car il cite incidemment Jung dans sa documentation (p. 49). Il définit huit types de caractère que l’on peut plus ou moins superposer à ceux de Jung. Le nerveux (EnAP) correspond au type sensation introvertie, le sentimental (EnAS) au sentiment introverti, le colérique (EAP) à la sensation extravertie, le passionné (EAS) au sentiment extraverti, le sanguin (nEAP) à la pensée extravertie, le flegmatique (nEAS) à la pensée introvertie. Pour les deux derniers types, l’amorphe (nEnAP) et l’apathique (nEnAS), Le Senne n’en donne qu’une description très succinte et presque toujours négative, mais on peut associer l’amorphe à l’intuition extravertie : primarité, procrastination ou indécision au quotidien, défaut de sens pratique (donc dépensier), non-émotivité (objectivité sans empathie pour les autres). L’apathique serait comparable à l’intuition introvertie : secondarité, inactivité, insensibilité ; d’où conservateur, mutique, avare, peu compatissant ou serviable, voire cruel. Retour
Note 4 Les archétypes sont comme des matrices en creux héritées de l’évolution dans lesquelles se coulent les contenus psychiques qui prennent alors la forme de symboles polysémiques autour de thèmes numineux. Ils nourrissent de sens le moi et la conscience. Retour
Note 5 Pour ma part, j’aime bien le mot Esprit du père. Retour
Note 6 Pour ma part, j’aime bien le mot brisure de symétrie initiale. Retour
Note 7 Notre ouvrage : L’âme japonaise, au chapitre : localisation neuroanatomique des fonctions psychologiques. Retour
Note 8 Pour ma part, j’aime bien l’aphorisme de Confucius : «La nature humaine réunit les hommes, leurs coutumes les séparent» (xìng xiāng jìn yě, xí xiāng yuǎn yě/性相近也,習相遠也, Entretiens, 17-02) car il résume toute la problématique de la transculturalité. Retour
Note 9 À ce sujet, il serait sans doute plus judicieux de voir les archétypes comme un réseau de facultés signifiantes interconnectées et s’entrecroisant de façon réticulaire, un peu à la manière d’un hypertexte, plutôt que comme une structure vraiment verticalisée. Retour
Note 10 Il m’est impossible de traiter succintement la question des tropes selon la métapsychologie junguienne quant à leurs rapports à l’extraversion et l’introversion dans l’optique concret/abstrait liée au symbole. Cette étude fera l’objet d’une prochaine parution. Retour
Note 11 Cf. à ce sujet notre article : De l’Esprit du père chez la femme japonaise selon deux observations cliniques, Journal of International Relations and Comparative Culture, Volume 14, No 2, 2016, pp 53-76, Université départementale de Shizuoka. Retour
Note 12 Source Freepick.com   Retour

Bibliographie sommaire

Camus A. : Le Mythe de Sisyphe, Folio, 1987.
Ey H., Bernard P., Brisset Ch. : Manuel de psychiatrie, 5e édition, Masson, 1976.
Fontanier J. : Les Figures du Discours, Flammarion, 1993.
Jakobson R. : Essais de Linguistique Générale, Les Éditions de Minuit, 1986.
Jung C.-G. : Le Livre Rouge - Types Psychologiques - Les Racines de la Conscience
Le Senne R. : Traité de Caractérologie, PUF, 1989.

Jean-Claude Jugon

Jean-Claude Jugon (1951-2021) est psychologue clinicien et docteur en psychologie. Il a vécu 26 ans au Japon. Ses travaux le conduisent, selon la vision junguienne de la psyché humaine, à étudier les ressorts psychologiques profonds qui animent les Japonais mais également d'autres peuples d'orient (Chine ...).

Cet hommage à Jean-Claude Jugon retrace son parcours et ses travaux de recherche.

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