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De l’isomorphisme matière-psyché
Synchronicité et acausalité sous-entendent la flèche du temps

"Naturellement on ne peut pas prouver que Dieu existe"
C.G. Jung - Ma Vie

Connivence et autorégulation des contraires

Dans l’évolution, aucun stade (physique, chimique, biologique ou psychologique) ne peut se concevoir sans l’existence de forces opposées conniventes et de mécanismes pour les réguler cybernétiquement. C’est par leur mariage qu’ils peuvent fonctionner. L’un n’a aucun moyen de se manifester sans passer par l’autre, et vice-versa. Ainsi, le continuum espace-temps en relativité générale montre que ces deux dimensions contraires sont absolument indissociables.

On est en droit de penser que ce système binaire fonde également le psychisme. Jung a choisi les termes d’extraversion et d’introversion pour qualifier la structure double de l’appareil mental. Il aurait pu choisir le couple yin/yang s’il avait été chinois. On sait que le yang arrivé à son comble s’inverse en le yin car la régulation d’un opposé par l’autre devient impossible. Patatras ! le système bascule d’un seul coup dans son inverse. C’est l’image du gant droit qui, retourné à l’envers, s’adapte à la main gauche. La psychopathologie enseigne la même chose.

Cette nécessaire bipolarisation de la Création et du vivant crée une tension énergétique entre les opposés appelée différence de potentiel qui réclame des réajustements dus aux oscillations pour maintenir un équilibre vivable. Pour la psyché, ils sont de deux ordres complémentaires :

  1. La compensation : mécanisme salvateur assurant la permanence du système psychique.
  2. L’enantiodromie : c’est un renversement brutal des pôles qui déstabilise le psychisme pour rediriger l’énergie dans une autre direction. Ce mécanisme aussi est salvateur, assurant la survenue d’une possible novation. Il cause souvent une crise aux sérieuses conséquences.

Notre corps aussi participe des opposés comme il en va de la compensation entre nos muscles agonistes et antagonistes. Ils sont connivents pour maintenir notre posture physique (attitude intérieure) tout en pouvant l’inverser en mouvements très souples (comportement extérieur).

Dans les cas pathologiques, quand une indécision fondamentale s’installe entre les opposés, le sujet n’arrivant plus à choisir, la posture physique devient vite une imposture. C’est la tétanie, le statu quo, comme dans les mélancolies gravissimes. La compensation et l’enantiodromie ne fonctionnant plus du tout, le système s’enraye. Avant les antidépresseurs, un mélancolique pouvait rester bloqué le bras en extension sans paraître vraiment souffrir. Il délirait en silence.

Neuroplasticité et compensation

Quand les neurologues parlent de la plasticité du cerveau, leurs observations se fondent sur la capacité de cet organe à compenser, c.-à-d. à se remodeler ou à se réorganiser partiellement selon les expériences et le vécu du sujet dans le présent. Tous les niveaux de l’encéphale ont une plasticité à se reconfigurer selon les variations du milieu. Il y a donc tantôt diminution et tantôt renforcement de nos connexions neuroniques. Notre cerveau évolue ainsi la vie durant.

Par exemple, lors d’une lésion cérébrale, les facultés prises en charge par la partie du cerveau concernée sont déléguées à une autre voisine, mais en partenariat avec elle. Ainsi, l’aire visuelle occipitale d’un aveugle de naissance est tout de même sollicitée et stimulée pour apprendre et utiliser tactilement le braille (cela fait écho à la compensation d’organe d’Adler).

Même chose pour un membre fantôme. Pour curer la douleur, suite aux excitations tactiles que le cerveau envoie sans jamais obtenir de réponse, on leurre son fonctionnement par un stratagème. On lui fait accroire qu’il peut se libérer de ses pseudodouleurs en posant un faux membre devant le patient sur lequel il peut projeter mentalement ses sensations nociceptives pour moins souffrir. Le cerveau comme la psyché tentent donc de conserver leur eurythmie fonctionnelle via le mécanisme de la compensation qui assure à la fois son homéostasie globale et sa capacité à exhausser son excitabilité quand il le faut, juste dans certaines limites.

Le psychoïde : une zone tampon entre corps et psyché

Si le cerveau est le chef d’orchestre du corps, la psyché en est son couvre-chef. Selon toute vraisemblance, les deux sont unis aux abysses. L’ennui est que nous ne disposons pas d’un bathyscaphe assez solide pour descendre y voir. Jung l’a pourtant fait. D’où son hypothèse du psychoïde. Il s’agit d’une zone tampon où les fondements de la matière et de la psyché ont tout l’air d’être isomorphes. Sur quelles bases scientifiques pourrait-on les mettre en regard ?

Parlant du psychoïde, on pourrait relier l’orthosympathique activateur à l’introversion et le parasympathique régulateur (plus qu’inhibiteur) à l’extraversion. Ce système neurologique double est bâti sur le modèle du balancier faisant contrepoids en sens inverse pour restabiliser l’ensemble tels les danseurs de corde ou le prao, ou tel un thermostat maintenant la constance de nos états physiologiques. Or, la psyché abyssale paraît bien fonctionner comme le système nerveux autonome car l’introversion et l’extraversion s’entrerégulent cybernétiquement dans l’inconscient, chaque dimension ayant des propriétés opposées (cf. l’Âme japonaise, p. 17).

Cela dit, des facteurs idiosyncrasiques et environne-mentaux font opter de préférence le moi (et la conscience) pour l’une ou l’autre de ces deux dimensions, sachant que nous devrons relativiser notre dominante pour apprécier son inverse au cours de la vie. Il s’agit de l’attitude intérieure fondamentale d’un sujet avant que les fonctions ne s’étagent dans l’appareil mental.

Cerveau et psyché : un même patron ?

Le cerveau et la psyché seraient modélisés au départ sur un même patron fondé sur 2 opposés interactifs (ortho- et parasympathique vs intro- et extraversion), implémentés par 4 éléments (les cerveaux pontique, sensoriel, limbique et cortical vs intuition, sensation, sentiment, puis pensée), soit 2x4 = 8 types basiques. Le Yìjīng (易经) et ses trigrammes disposés en octogone (bāguà/八卦) exemplifie cela. Il y aurait donc possible isomorphisme entre cerveau et psyché.

Toutes les cultures ont de fait tenté d’établir des correspondances signifiantes entre le corps et l’esprit, le microcosme et le macrocosme, pour en tirer un système de valeurs cohérent qui préserve l’unité de l’Âme du monde. Même si les superstitions abondent, cela montre que le cerveau et la psyché ont une sainte horreur du non-sens : tout plutôt que le vide ou l’absurdité.

Synchronicité et numinosité du symbole

Selon Jung, le côté psychoïde de la réalité objective génère des phénomènes synchronistiques acausaux. Il faut donc supposer, du moins à titre d’hypothèse, une coalescence (de : croître avec) originelle entre matière et psyché. Ces deux versants du Réel pourraient parfois devenir co-incidents sous la forme d’un événement concret (réalité extérieure) qui entre en résonance avec l’inconscient (réalité psychique) pour délivrer ensemble au sujet un sens transpersonnel.

L’exemple du scarabée d’or gratouillant à la fenêtre du cabinet de Jung fait ainsi du sens avec le rêve de sa patiente qui, médusée, change de posture intérieure et devient plus réceptive à son inconscient. Un fait concret et un autre abstrait ont donc interagi de connivence pour lui délivrer du sens, à elle et à elle seule, via la numinosité du symbole (le scarabée représentait jadis la renaissance du soleil dans l’ancienne Égypte), et sa vie a pu tout à coup se renouveler.

C’est donc un mysterium tremendum. Ça n’arrive pas tous les jours mais il arrive parfois que ça arrive, à rebours de nos expectations. C’est en raison du côté numineux de cette expérience via le symbole, mais aussi de son caractère novateur, que cedit vécu peut être traumatisant ou commotionnel comme dans le délire. Le délire est une novation (une création) ayant avortée car le moi trop fragile s’est dissocié faute de pouvoir assimiler les contenus de l’inconscient. Il faut dire que le moi entretient en général une sérieuse phobie à son égard (ex : l’araignée).

Synchronicité et mécanique quantique

En partenariat avec Pauli, Jung parle d’acausalité pour signifier que dans le monde infiniment petit (microcosme) de la mécanique quantique les lois déterministes du monde infiniment grand (macrocosme) de la physique classique ne s’appliquent plus. Dans le microcosme, il existe un flou quantique, c.-à-d. une superposition d’états de la matière qui restent encore potentiels et indécis (indéterminés), comme le fameux chat mort et/ou vivant de Schrödinger.

L’expérience de pensée de Schrödinger montre qu’un chat enfermé dans une cage peut rester dans un état indéterminé, à la fois vivant et/ou mort, c.-à-d. dans ni l’un et/ou ni l’autre de ces deux états. Cela évoque le tétralemme de Nagarjuna qui refuse la logique du tiers exclu en quatre propositions : affirmation, négation, affirmation et négation, ni affirmation ni négation.

Au stade des particules subatomiques, la matière reste donc à l’état d’énergie pure et informe, non fixée en des états stables distincts et causalement irréversibles au plan du macrocosme. Ce flou quantique se dissipe dans le macrocosme en raison de la décohérence imposée par l’environnement qui force cet état vague incohérent à se ranger du côté de la réalité causale.

Passer donc de l’incertitude au déterminé, de l’incohérence à la (dé)cohérence, de l’acausal au causal, en un mot du microcosme au macroscosme oblige à réintroduire la flèche du Temps, variable im-pertinente en mécanique quantique suite à la superposition des états de la matière. Cette mécanique offre les conditions aléatoires nécessaires au sein de l’Espace en favorisant la survenue de faits synchronistiques acausaux dans l’état du présent, mais elle n’est pas indépendante de la diachronicité, c.-à-d. d’un temps vectorisé dans «une certaine direction».

Du fait de son indétermination, elle ne peut délivrer du sens à elle seule. C’est donc le Temps qui en contextualisant l’environnement force son incohérence à adhérer à sa propre cohérence car lui est vectorisé depuis l’Origine pour produire du Réel. L’acausalité spatiale nécessite ainsi la causalité temporelle pour coupler vers l’avenir le Temps cyclique au Temps vectoriel.

Ne serait-ce pas alors la force de gravitation, 1er force de l’univers au cœur du macrocosme et de la relativité générale, qui « guiderait » les 3 autres forces du microcosme (nucléaire faible, nucléaire forte et électromagnétisme) vers la décohérence quantique des états superposés ?

Bien que le Temps soit couplé à l’Espace dont il relève pour se révéler, ce serait sa flèche qui dès l’Origine pointerait la Création dans une direction (mais laquelle ? scrogneugneu) car il contient l’Intention primordiale. Notre destin sera-t-il à nous pauvres humains de la dévoiler ?

Pour la mythologie le Temps précède l’Espace

Il ressort de ces explications que si le Temps précède l’Espace, bien qu'ils soient tous les deux intimement couplés, le sens précède forcément la structure mais il a besoin d’elle pour se manifester via ses productions concrétisant son ubiquité.

Il existe en Inde un mythe qui relate cette vision : celui de Shiva/Shakti. Shiva est le grand Temps (Mahâkâla), appelé le Seigneur du sommeil (l’Éternité), tandis que sa parèdre est Shakti, c.-à-d. son énergie : lui le linga, elle la yoni. Il impulse et féconde ; elle génère de sa vulve l’Espace et la Création par sa danse.

On trouve un mythe semblable en Grèce. Ouranos, le dieu du ciel, c.-à-d. le grand Temps désincarné (il rejette ses enfants dans le sein de Gaïa), est châtré par son fils Cronos, le dieu du Temps incarné (lui dévore ses enfants). Il jette dans la mer (mère) les organes génitaux de son père. De son écume (sperme d’Ouranos) naît la déesse Aphrodite, mère de tous les êtres. Qui de nous se soucie vraiment de découvrir en lui ce phallus introuvable perdu aux abysses ?

Shakti/Aphrodite sont des déesses incarnant l’Espace-matière. La mythologie rejoint donc ici la science pour dire que le Temps (Shiva/Ouranos), tout fantomatique qu’il soit, se manifeste par l’Espace chargé de le révéler. Il n’advient à sa propre conscience que par son contraire issu de lui, qui le dévoile tout en le voilant. Sinon, il serait en sa propre Éternité et nous avec.

Il appert au final que ces deux mythes indo-européens imaginèrent l’intrication de l’espace et du temps en un même continuum bien avant qu’Einstein ne l’ait formalisée scientifiquement. Qu’en dire nous pauvres humains à part chérir cette Immortalité qui nous dévisage d’en bas ?

Jean-Claude JUGON - Octobre 2018

Bibliographie sommaire

Dortier J.-F. (sous la direction de) : Le Cerveau et la Pensée, Edt Sciences Humaines, 2014.
Daniélou A. : Mythes et Dieux de l’Inde, Flammarion, 1994.
Graves R. : Les Mythes Grecs, Fayard, 1967.
Jugon J.-C. : Phobies sociales au Japon, ESF, 1998 (cf. le chapitre sur l’angoisse originaire).
Jugon J.-C. : L’Âme japonaise. L’Harmattan, 2015.
Jung C.-G. : Synchronicité et Paracelsica, Albin Michel, 1988.
Jung C.-G. : Ma vie, souvenirs, rêves et pensées, Gallimard, 1973.
Pauli W. & Jung C.-G. : Correspondance 1932-1958, Albin Michel, 2000.

Jean-Claude Jugon

Jean-Claude Jugon (1951-2021) est psychologue clinicien et docteur en psychologie. Il a vécu 26 ans au Japon. Ses travaux le conduisent, selon la vision junguienne de la psyché humaine, à étudier les ressorts psychologiques profonds qui animent les Japonais mais également d'autres peuples d'orient (Chine ...).

Cet hommage à Jean-Claude Jugon retrace son parcours et ses travaux de recherche.

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