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Tenir la tension du transfert érotique : incarner le Capitaine Picard dans « La Parfaite Compagne » de Star Trek

Peggy Vermeesch explore la manière dont un thérapeute peut accompagner un patient dont la guérison et la transformation dépendent de la possibilité de (re)vivre l’expérience d’un premier amour parental sain.

Le mythe de Star Trek lui sert de fil conducteur. En plus de bonnes limites, il est crucial d’apprécier et d’aimer véritablement nos patients lorsque la coniunctio est constellée.

Version anglaise de cet article

J’explore les mythes qui entourent la sexualité et le danger d’abus et de préjudices à long terme dans un processus de maturation perturbé. Je souligne l’inégalité en matière d’empathie et de protection sociétales pour les hommes. En utilisant les théories de Rutter (1989), j’analyse à la fois le potentiel et le danger des « relations en zone interdite ».

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PREAMBULE

L’épisode de « Star Trek : La Nouvelle Génération » intitulé « La Parfaite Compagne » dépeint l’éveil sexuel d’une jeune femme et les défis auxquels elle et son environnement sont confrontés au cours de cette transition.

Lorsque ce passage de l’enfance à l’âge adulte tourne mal, les gens peuvent se retrouver perpétuellement blessés et re-blessés dans leurs relations ultérieures les plus importantes, incapables de prendre soin de leurs propres limites, sexuelles ou autres. Ils vivent avec un désir constant d’amour, de connexion et d’approbation qui ne pourra jamais être pleinement satisfait.

Dans une certaine mesure, nous avons tous souffert des difficultés de cette transition et il nous reste, à tous, au moins, quelques vestiges d’une telle blessure.

La PROMESSE de la ZONE INTERDITE

Lorsque ces personnes recherchent la guérison, elles peuvent pour la première fois trouver un nouvel espoir sous la forme d’une relation professionnelle de confiance avec une personne qui détient le pouvoir sur leur avenir. Il peut s’agir d’un thérapeute qui détient la clé de leur santé psychologique et émotionnelle, d’un enseignant ou d’un mentor qui a le pouvoir de favoriser leur développement intellectuel ou professionnel, d’un avocat, d’un médecin, d’un gourou spirituel ou d’un leader politique.

Dans ce contexte, le psychiatre et analyste jungien Peter Rutter parle de la zone interdite.

« D’une manière implicite, la zone interdite offre aux femmes qui y pénètrent une qualité parentale de confiance. » (Rutter 1989, p. 74)

Les relations en zone interdite sont calquées sur la dynamique parent-enfant en raison du déséquilibre des pouvoirs et de la confiance qui est transférée au professionnel, censé toujours agir dans le meilleur intérêt de la personne dont il a la garde.

La relation thérapeutique est conçue en partie pour réveiller les aspects infantiles des patients, afin que leurs blessures puissent être soignées et transformées. La position de confiance et d’autorité s’accompagne également de la responsabilité éthique du rôle parental et donc du tabou lié au sexe.

Le consentement n’a plus de sens dans cette situation. Tout comme les enfants n’ont pas la capacité émotionnelle de refuser une relation incestueuse, qu’elle soit vécue littéralement ou symboliquement, les adultes, dans une relation en zone interdite, ne peuvent pas non plus donner leur consentement.

« D’un point de vue psychologique, les violations de ces frontières équivalent non seulement à des viols mais aussi à des actes d’inceste. » (Rutter 1989, p. 114)

Tout au long de son livre de référence sur l’exploitation sexuelle dans les relations professionnelles, Rutter montre à quel point une relation sexuelle dans la zone interdite est incroyablement nocive, tant pour la personne au pouvoir que pour la personne dont elle a la garde.

Bien que le comportement sexuel dans une relation professionnelle de confiance soit le pire type de franchissement des limites, tout comportement dans lequel une personne au pouvoir utilise une partie de la personne qui lui a été confiée à son propre bénéfice est nuisible.

Transfert et contre-transfert érotiques

Rutter explore également les mécanismes psychologiques responsables de l’attrait du sexe dans la zone interdite pour les participants et les témoins. Ces mécanismes éclairent la difficulté intrinsèque à sensibiliser à ce phénomène répandu et à s’en prémunir.

L’intimité sexuelle vit dans notre psychisme collectif comme le symbole ultime de l’expérience de l’amour, de la passion et d’un lien profond avec une autre personne, avec notre propre corps et notre psyché, avec la vie elle-même ou avec le Divin.

Il est logique que dans le contexte d’un nouvel espoir de guérison et de lien, qui émerge dans une relation en zone interdite, l’un ou les deux participants puissent être inondés par un désir d’intimité. Et pourtant, pour une personne blessée sexuellement, ce désir peut être à la fois terrifiant et farouchement combattu. Lorsque ces aspirations à la proximité émotionnelle surgissent, c’est la personne en position de pouvoir qui a la responsabilité de maintenir la tension et de surveiller les limites.

Lorsque le transfert et/ou le contre-transfert érotique se constellent, les thérapeutes doivent entreprendre la tâche délicate de démêler les désirs déroutants pour eux-mêmes, tout en respectant les sentiments qui surgissent au cours du processus et en leur permettant d’être librement vécus par le patient à un niveau symbolique plutôt que littéral.

Nous ne devrions jamais faire honte à nos patients pour leurs désirs profonds, même si ceux-ci nous mettent mal à l’aise. Trop de rejet sous la forme d’une défense trop forte contre la projection érotique d’un patient exclut l’important potentiel de croissance et de guérison qu’apporte cette constellation.

« Les images de contact sexuel avec des partenaires interdits représentent souvent le désir que nous avons d’établir le contact avec la partie de nous-même que reproduit l’image du partenaire interdit. » (Rutter 1989, p.76)

Hommes, femmes et personnes non-binaires

Bien que l’histoire que j’interprète parle d’une femme qui désire être aimée par un homme, je pense fortement que le processus de maturation d’une femme a beaucoup en commun avec celui d’un homme. Bien qu’il existe des différences, je m’engage à écrire du point de vue de notre expérience humaine commune en tant que personne, quelle que soit notre identité de genre ou notre orientation sexuelle.

Avec cette décision, j’espère parvenir à une description plus large dans laquelle tout le monde peut se reconnaître et qui promeut l’égalité des opportunités et les droits à la protection et à l’empathie.

La PARFAITE COMPAGNE de STAR TREK

Dans « La Parfaite Compagne » (Star Trek : La Nouvelle Génération, S5E21), le capitaine Picard accepte d’organiser à bord du vaisseau Enterprise une cérémonie de réconciliation pour deux races extraterrestres. Les Kriosiens et les Valtais sont en guerre depuis des siècles à cause d’un conflit né de deux frères qui se sont battus pour l’amour d’une femme extraordinaire.

Elle était une métamorphe empathique, « dotée du pouvoir de deviner le désir de tout partenaire potentiel, capable de savoir à l’avance tout ce qu’il attend d’une femme et de devenir pour lui cette femme ».

Une telle femme ne naît qu’une fois sur sept générations. Pour parvenir à la paix entre leurs deux civilisations en guerre, les Kriosiens ont amené Kamala, également une métamorphe empathique, à offrir au chancelier Valtais Alrik comme compagnon. Cette offrande de paix a été négociée dès sa naissance.

Éveil sexuel

Kamala est embarquée sous le couvert du secret. Elle a été mise en stase et est conservée dans la soute dans ce qui ressemble à un œuf lumineux à taille humaine. Personne n’aurait été au courant sans les deux Ferengis qui sont venus à bord avec une ruse et l’intention de voler la précieuse femme anima pour un gain financier.

Les Ferengis sont une espèce humanoïde ténébreuse, connue pour leur amour du profit économique. Ils ont fondé toute une civilisation sur le culte de l’argent. Ils sont connus pour leur quête odieuse, impitoyable, mais souvent innocemment stupide, du plaisir infantile, du pouvoir et de la richesse.

À la manière du Trickster, un problème technique se produit alors qu’ils tentent de voler l’œuf, provoquant le réveil prématuré de Kamala de la stase. On comprend vite pourquoi les Kriosiens ont tenté de la cacher. Premièrement, le capitaine Picard se montre peu compréhensif face à l’utilisation de son vaisseau pour transporter un être conscient considéré comme une propriété.

Deuxièmement, Kamala, en tant que métamorphe empathique, est dans la dernière étape de son processus de maturation sexuelle et affirme que cela peut être assez inconfortable pour les hommes qui l’entourent. Une métamorphe empathique change de personnalité selon l’homme avec qui elle est, « jusqu’à ce qu’elle atteigne le stade de l’osmose, et là son adaptation à l’homme du moment sera la dernière, et elle deviendra sa partenaire idéale définitive ».

Alors que le commandant Riker l’accompagne jusqu’à ses quartiers, où l’ambassadeur Kriosien lui dit de rester, on se fait une idée du risque, car sa présence devient vite hautement provocatrice et séduisante. Bien que le commandant Riker parvienne à s’éloigner après seulement un baiser passionné, un homme avec moins de maîtrise de l’ego ou une position éthique plus faible aurait succombé instantanément à son charme.

Le mythe masculin du féminin

Comme cela arrive souvent dans les épisodes de Star Trek, une partie de la psychologie et du comportement humain est amplifiée et explorée. Il s’agit ici de l’éveil sexuel d’une adolescente en pleine puberté et du fantasme masculin entourant les femmes sexuellement mûres. Rutter identifie trois parties du mythe culturel qui expliquent les attitudes intérieures qui façonnent la manière dont les femmes sont perçues par les hommes et la façon dont les femmes se voient elles-mêmes.

Déférence

« Dans la mythologie masculine, une femme doit avant tout montrer de la déférence pour un homme. Pour l’homme, la femme idéale doit être disponible comme partenaire sexuelle et source de confort émotionnel; elle doit être la compagne qui s’occupe de la maison et élève les enfants. » (Rutter 1989, p. 88)

Malgré notre malaise face à une telle inégalité et au mot « déférence », nous ne pouvons ignorer que cette idée reste enracinée chez les hommes comme chez les femmes. Il faut de la conscience et des efforts pour ne pas simplement suivre le modèle patriarcal.

Les femmes d’un groupe s’en remettent encore largement à l’opinion d’un homme. Des études montrent que les publications d’auteurs masculins sont associées à une meilleure qualité scientifique et sont susceptibles de susciter davantage d’intérêt pour la collaboration que celles écrites par des femmes (Knobloch-Westerwick et al. 2013).

En réaction à cette situation injuste, certaines femmes adoptent l’attitude opposée, considérant que les hommes ont le devoir de se soumettre à tous leurs désirs. De même, certains hommes ont intériorisé cette notion et croient que la seule façon de retenir leur partenaire féminine est de toujours dire « oui, chérie ».

Je propose de formuler le mythe de déférence, quelque soit le genre, sous la forme suivante : soit nous devons nous en remettre à l’autre, soit nous devons nous assurer que l’autre se fie à nous. Ou encore : soit nous dominons, soit nous sommes dominés.

Pouvoirs de guérison féminins

« La seconde composante du mythe masculin du féminin concerne les grands pouvoirs de guérison, de chaleur et de sexualité que les hommes attribuent aux femmes. Les hommes ont la ferme conviction que les femmes détiennent ces pouvoirs afin qu’ils puissent en être les seuls bénéficiaires. » (Rutter 1989, p. 89)

Il va de soi qu’il existe un mythe féminin qui, bien que semblant légèrement différent à première vue, partage des similitudes avec celui du masculin.

Lors d’un exercice d’improvisation avec un groupe d’étudiantes en ingénierie très déterminées dans leurs convictions, je me suis récemment rappelée à quel point l’attrait des maris riches est omniprésent. Même si ces femmes n’auront aucune difficulté à subvenir à leurs besoins dans un style de vie confortable, plusieurs d’entre elles ont néanmoins révélé un désir profond d’être aimées et prises en charge par un homme riche capable de leur offrir une maison belle et luxueuse.

Mais si le confort est ce qu’elles désirent, pourquoi ne s’efforcent-elles pas de devenir riches elles-mêmes ? Peut-être parce qu’au fond, les femmes croient encore que les hommes détiennent le pouvoir financier (et professionnel) qui peut ensuite leur être conféré.

Les mythes masculins et féminins semblent devenir de plus en plus interchangeables. De nombreux hommes sont parfaitement ouverts aux avantages d’avoir une épouse riche et prospère, et les femmes attendent également de leur mari ou partenaire soins nourrissants et guérison sexuelle.

Hommes, femmes et personnes non-binaires sont tous incités à rechercher une intimité sexuelle avec un partenaire potentiel sur lequel ils ont projeté leurs propres qualités et pouvoirs non encore intégrés. Ils croient inconsciemment que l’intimité est le seul moyen de les obtenir.

Les aspects mentionnés du mythe masculin du féminin de Rutter sont amplifiés dans l’idée de la métamorphe empathique. De plus, il n’est même pas nécessaire de se sentir coupable de se servir de la femme de cette manière. Ce n’est pas de l’exploitation, car c’est sa vraie nature, et s’en remettre aux souhaits des hommes est sa plus grande source de bonheur.

Cette attitude s’approche dangereusement de celle qui persiste encore aujourd’hui dans les débats sur le viol et les abus sexuels. Bien que les lois soient devenues plus efficaces pour combattre les soi-disant propos tels que « elle l’a voulu » et « elle l’a demandé », et qu’il soit désormais socialement inacceptable de le dire à voix haute, il faudra beaucoup de temps pour que les changements conscients soient intégrés dans notre inconscient.

Mais il y a de l’espoir pour une transformation. Les mêmes étudiantes en ingénierie qui s’imaginent avec un mari riche fréquentent l’université en hauts courts et sans soutien-gorge, déclarant qu’il n’est pas de leur responsabilité de prendre soin du désir des hommes et qu’il est temps que les hommes assument la responsabilité de leurs propres sentiments et désirs. Elles ont tout à fait raison, peu importe à quel point cela peut rendre mal à l’aise les générations précédentes ou susciter notre inquiétude pour elles.

Les individus ne devraient pas être tenus responsables de ce que les autres projettent sur eux. Reste à espérer que plus le nombre de personnes qui s’élèvent et se rebellent contre ces projections culturelles s’accroît, plus la transformation collective s’effectuera rapidement.

La compassion exploitée

Au départ, le capitaine Picard accepte la situation de Kamala parce qu’il a juré de ne pas s’immiscer dans les civilisations extraterrestres et parce qu’elle semble savoir ce qu’elle fait.

Cependant, le Dr Beverly Crusher, qui incarne tout au long de la série la voix de la conscience et de la protection des droits de tous les êtres conscients (voir Les Borgs de Star Trek : symbole de l’inconscient collectif dans son aspect d’ombre dévorante et annihilante), pense autrement. Elle utilise des termes comme prostitution et esclavage et souligne que Kamala a été « conditionnée depuis son plus jeune âge pour trouver normal de n’exister qu’en fonction du plaisir des hommes.« 

Certaines personnes ont en effet été conditionnées par leur éducation à croire qu’elles n’existent que pour répondre aux besoins d’autrui. Parfois, les parents ont des blessures d’une telle gravité que la seule manière pour un enfant d’espérer recevoir une attention positive (et survivre) est de répondre à leurs besoins. De cette manière, l’enfant intègre inconsciemment le message selon lequel ses propres besoins, espoirs et désirs ne sont pas importants.

En tant qu’adultes, ces personnes risquent de reproduire la même dynamique dans chaque relation importante ultérieure. Rutter identifie ce schéma de compassion exploitée comme l’une des quatre catégories de blessures qui exposent les individus à des violations ultérieures des limites sexuelles. Ces personnes sont très sensibles aux blessures de la personne en qui elles ont placé leur confiance et leur espoir de guérison. Elles auront du mal à refuser toute demande visant à panser les blessures de l’autre, qu’elle soit manifeste ou projetée de manière inconsciente.

Doubles standards

Les conceptions contemporaines de l’égalité des sexes exigent que nous appliquions les idées importantes de Rutter à l’expérience de tous les êtres humains. C’est particulièrement crucial aujourd’hui.

Bien qu’il semble y avoir une meilleure compréhension dans la population générale du préjudice causé par une relation amoureuse et/ou sexuelle entre un thérapeute masculin et une patiente, nous voyons encore des thérapeutes féminines nouer des relations avec leurs patients masculins dans des séries télévisées, sans aucune reconnaissance du préjudice causé au patient.

Dans la série « Perception » (2012-2015), la psychiatre Caroline entame une relation amoureuse avec son patient schizophrène Daniel. Lorsque la relation prend fin, elle admet qu’elle aurait dû se garder de penser que cela serait bon pour elle. L’impact néfaste sur Daniel n’est jamais reconnu par elle ni mentionné d’une autre manière dans la série.

Au début de la saison 7 de « Suits, avocats sur mesure » (2017-2018), le personnage principal, Harvey, demande à son ancienne thérapeute Paula de sortir avec lui, affirmant que suffisamment de temps s’est écoulé depuis la fin de leur thérapie. Ils sortent dîner, mais quand il devient évident qu’Harvey nie être en crise et avoir besoin d’une thérapie, elle s’énerve et dit :

« Vous n’avez jamais pensé que je puisse rêver de vous ? Rêver qu’un soir vous arriveriez à mon cabinet alors je m’apprêtais à rentrer. Je me retournerais, vous seriez là. Vous ne prononceriez pas un mot, mais… vous me prendriez dans vos bras, et vous m’embrasseriez. Et ce serait le début d’une belle histoire. Oui, c’était mon rêve. » (Suits, avocats sans mesures, S7E1 : L’heure du choix)

Elle continue en lui disant qu’ils ne peuvent pas sortir ensemble et qu’elle ne peut plus être sa thérapeute. Mais le lendemain, Harvey se rend chez elle en voiture, la prend dans ses bras et l’embrasse. Il réalise son fantasme et ils entament une relation. Harvey a perdu son thérapeute alors qu’il en avait besoin.

Le caractère prohibé de la relation et la crainte d’être jugé par ses pairs sont reconnus, mais le préjudice causé à son ancien patient n’est jamais abordé. 

À ce jour, persiste également une double norme dans la manière dont nous, culturellement, percevons un enseignant ou professeur qui s’engage dans une relation amoureuse avec un élève ou étudiant.

L’enseignant ou professeur est désormais largement considéré comme un prédateur abusant de son pouvoir et de son autorité, surtout si l’élève ou l’étudiante est beaucoup plus jeune que lui.

En revanche, lorsque c’est une enseignante ou professeure qui a une relation avec son élève ou étudiant, cela est souvent perçu comme romantique et excitant. L’étudiante est alors vue comme une victime, tandis que l’étudiant masculin est considéré comme chanceux d’avoir une femme expérimentée pour l’initier à l’art du sexe.

Il est temps que le comportement abusif des femmes en position de pouvoir, bien que moins fréquent, soit également reconnu et dénoncé.

Nos sociétés ont encore beaucoup de progrès à faire pour protéger les jeunes femmes et soutenir les femmes victimes d’exploitation sexuelle. Cependant, la situation est encore plus précaire pour les hommes.

Souvent, les hommes ne sont même pas considérés comme des victimes, même si la situation est exactement parallèle. Les hommes devraient avoir accès à la même protection, empathie et prise en charge que les femmes. Il n’est pas moins nocif pour un homme d’être exploité sexuellement que pour une femme. Le mythe à l’origine de ce double standard consiste en deux parties.

  • La première partie du mythe postule que les hommes sont plus forts que les femmes, qu’ils sont responsables de toute relation physique entre eux, et donc peu susceptibles d’être victimes d’exploitation sexuelle. 
  • La deuxième partie du mythe est que les hommes sont tellement programmés pour le sexe qu’il est impossible de leur faire du mal lorsqu’il leur est proposé, même par une personne qui a du pouvoir sur eux.

Ces croyances sont perpétuées à la fois par les femmes et les hommes, ainsi que par les stéréotypes que nous continuons de voir dans les films, la publicité, les livres et la musique. Les deux croyances sont fausses.

Notez également la différence dans notre langage quotidien : on demande du sexe aux femmes, mais on propose ou offre du sexe aux hommes. Cela rejoint clairement la deuxième partie du mythe masculin de Rutter, selon laquelle les femmes sont détentrices du pouvoir sexuel, qui peut ensuite être accordé aux hommes sur demande.

AMOUR de TRANSFERT

Lorsque le capitaine Picard découvre que Kamala est confinée dans ses quartiers, il décide d’aller vérifier que tout se passe bien. Lorsqu’elle commence à s’adapter de manière séduisante à ses désirs les plus profonds, il comprend immédiatement : « Non. Arrêtez. Arrêtez s’il vous plaît… ce que vous faites avec les hommes. » Mais elle répond que c’est simplement sa nature. « Elle ne peut changer, ni ne le veut d’ailleurs avant que vienne le moment où elle appartiendra à son partenaire définitif. »

De même, un patient dont le processus de maturation a été perturbé d’une manière ou d’une autre ne pourra pas simplement cesser de se rapporter aux autres de la manière dont il a été conditionné. Cela est encore plus vrai pour les relations qui portent la promesse d’espoir et de guérison.

La résolution qui accompagne l’attachement à son partenaire définitif peut être interprétée comme la transformation qui se produit lorsque ces patients établissent une relation avec la figure intérieure de leur âme : leur Anima/Animus ou leur Bien-Aimé.

Le capitaine Picard l’interroge sur ses propres souhaits et besoins, et elle répond qu’ils sont comblés par ce qu’elle offre aux autres. Donner lui procure du plaisir. Lorsqu’elle est seule, elle se sent incomplète.

En tant que capitaine, son objectif est de s’assurer que Kamala, qui est à bord de son vaisseau et donc sous sa garde, soit bien traitée et libre de faire ses propres choix. Lorsqu’elle utilise son charme sur lui, sa première réaction est de lui demander d’arrêter. Mais elle ne peut pas s’arrêter car c’est sa nature. Alors, il la raisonne et essaie de la faire réfléchir à ses propres souhaits. Mais elle ne peut pas le faire, du moins pas encore, et elle retombe dans son comportement complaisant.

Il s’agit d’une dynamique que les thérapeutes pourraient reconnaître dans leur cabinet, même si elle ne se joue pas de manière aussi évidente. Les personnes que nous rencontrons en thérapie sont celles qui ont été blessées. Elles se remettent entre nos mains avec l’espoir et la confiance que nous leur permettrons la guérison à laquelle elles aspirent tant. Et elles nous montrent leur maladie, leur modèle autodestructeur comme elles le peuvent : en le revivant dans le transfert (Rutter 1989, p. 20).

Un comportement excessivement complaisant ou agréable de la part d’un patient, qu’il soit manifeste ou inconscient, qu’il soit sexuel ou non, révèle un profond désir d’amour et d’affection, ainsi qu’une définition problématique de leurs limites et un potentiel historique de violations de ces limites. Le fait est que nos patients n’y peuvent rien. En nous exposant leur modèle, ils font exactement ce qu’ils sont censés faire : ils nous présentent le problème afin que nous puissions y travailler ensemble.

Transfert personnel et archétypal

Malgré les avertissements de l’ambassadeur Kriosien, le capitaine Picard négocie une certaine liberté de mouvement pour Kamala. Le lieutenant Data, un androïde et donc immunisé contre son attrait sexuel, est désigné pour la chaperonner et la protéger pendant qu’elle explore le vaisseau. Cependant, elle espérait passer plus de temps avec le capitaine Picard.

La réaction automatique et inconsciente de Kamala à devenir ce que le capitaine Picard désire chez son âme sœur peut être considérée comme analogue aux projections personnelles et historiques qu’un patient apporte à la relation transfert/contre-transfert en thérapie.

Au cours du travail thérapeutique, nous espérons dissoudre ce type de projections afin que nos patients puissent être libérés de leur tendance à répéter les blessures de leur passé avec nous et avec les autres, et qu’ils puissent ainsi avoir un plus large éventail de choix dans leurs relations interpersonnelles et leur rapport à eux-mêmes. Ceci est normalement réalisé dans le cadre du travail de transfert/contre-transfert et par l’utilisation thérapeutique de la reconstruction.

« La reconstruction, il convient de le noter, est essentiellement différente de l’anamnèse ou du simple souvenir du passé. Elle se produit au coup par coup au cours d’une longue analyse et se construit petit à petit à partir de souvenirs et d’interprétations émergents. L’histoire se constelle au cours d’une analyse, et cette constellation dépend de l’énergie du processus de transfert/contre-transfert. » (Stein 1987, p. 52)

Cependant, il existe une partie de Kamala qui ressent une attraction envers le capitaine Picard qui dépasse son adaptation automatique et conditionnée aux hommes. Lorsqu’elle sort de sa stase, elle se dirige instantanément vers lui, ressentant son autorité. On peut également imaginer qu’elle l’a choisi pour incarner son Bien-Aimé intérieur dès le premier instant.

Quelque chose de profond en elle a saisi l’opportunité de son réveil prématuré accidentel pour échapper au monde de l’inconscience conditionnée et œuvrer vers une plus grande conscience. Guidée par le Soi, elle a reconnu les qualités incarnées par le capitaine Picard comme une partie méconnue d’elle-même et a ressenti le désir et la curiosité de s’en approcher.

Dans le cadre analytique, cela fait partie du transfert archétypal. Alors que nous visons à dissoudre les projections personnelles et historiques, il en va différemment pour les projections impersonnelles ou archétypales, qui regardent vers l’avenir et non vers le passé.

« Ces contenus archétypaux du transfert ne peuvent et ne doivent pas être dissous, et ils n’exigent pas non plus d’interprétation. Au lieu de cela, ils nécessitent une sorte de reconnaissance dans l’analyse. » (Wiener 2009, p. 24) 

C’est en partie pourquoi il est si important de ne pas rejeter nos patients dans leurs véritables sentiments d’amour à notre égard, même si ces sentiments s’expriment par un désir d’intimité sexuelle, que nous pouvons ou non trouver attrayant.

Même si nous ne pouvons jamais céder au désir de vivre ce désir dans le monde extérieur, nous devons trouver un moyen de reconnaître et d’honorer leurs sentiments, et même de les amplifier à un niveau symbolique.

L’art d’apprécier nos patients

En se promenant dans le vaisseau en compagnie du lieutenant Data, Kamala se mue instantanément en la parfaite compagne. Tel un caméléon, elle s’adapte et évolue avec chaque homme qu’elle croise. Certains membres de l’équipage prennent conscience du danger de succomber à son charisme juste à temps et s’éloignent par devoir éthique envers leur vaisseau, leur capitaine et les négociations de paix auxquelles ils contribuent.

L’androïde Data intervient pour protéger Kamala de quelques individus moins scrupuleux qui sont prêts à accepter simplement ce qu’elle propose. Une altercation physique est sur le point d’éclater.

Cette scène souligne que dans le monde extérieur, symbolisé par le vaisseau spatial au-delà des quartiers de Kamala, les dangers sont doubles. Soit les propositions inconscientes des patients sont acceptées, entraînant une répétition du sentiment d’être utilisé et potentiellement abusé, soit leurs propositions sont rejetées et les gens fuient leur présence perçue comme dangereuse.

Même si l’on pourrait supposer que cette dernière option est moins préjudiciable, elle peut être perçue comme encore plus blessante, car elle représente un rejet des dons particuliers de connexion et d’amour que nos patients ont à offrir.

Dans les deux cas, aucune relation saine n’est envisageable, ce qui peut engendrer chez les patients un sentiment d’insécurité et les conduire à faire encore plus de compromis sur leurs propres désirs pour plaire aux autres.

De retour dans ses quartiers, Kamala propose au capitaine Picard de rester là-bas de son plein gré, à condition qu’il accepte de venir lui rendre visite. S’ensuit alors une scène de séduction complexe. Pas une séduction physique, mais une séduction intellectuelle et spirituelle, semblable à celle qui pourrait avoir lieu dans un cadre thérapeutique.

Kamala continue à tenter d’établir un lien affectif avec lui sur des sujets qui le passionnent : l’archéologie, Shakespeare et les magnifiques jardins de son enfance. Le capitaine Picard se permet d’apprécier sa compagnie et ses dons de connexion qui lui sont spécialement destinés, tant que leur interaction reste platonique et innocente. Il possède suffisamment de force de l’ego, de connaissance de soi et de sens des responsabilités pour demeurer en sa présence de manière saine : sans l’exploiter, mais sans la fuir ou la rejeter non plus.

Il est essentiel pour un thérapeute de favoriser ce type de connexion authentique au sein du cadre analytique.

Beaucoup de personnes qui entament une thérapie n’ont jamais expérimenté le sentiment d’être véritablement valorisées par leurs figures parentales, dans un environnement sécurisé où elles n’ont pas besoin de se sacrifier pour obtenir ne serait-ce qu’un brin d’affection.

De véritables moments de guérison peuvent émerger lorsque, en tant que thérapeutes, nous parvenons à gérer habilement la charge émotionnelle, tout en maintenant fermement les limites de la sphère sexuelle. Il est essentiel de reconnaître et d’apprécier les moments de connexion authentique et les dons uniques de nos patients, en particulier lorsqu’ils sont partagés de manière saine. Comme le capitaine Picard, nous devons trouver des solutions alternatives aux réactions du monde extérieur.

Tenir la limite

Lorsque le capitaine Picard interroge Kamala sur ses capacités empathiques et leur utilisation pour comprendre ses intérêts, elle avoue qu’elle s’est renseignée sur lui. Parmi tous les hommes rencontrés à bord du vaisseau, c’est le capitaine Picard qui a captivé son attention, notamment en son absence : lorsque Kamala est seule et libre de son adaptation naturelle. En un sens, il semble qu’elle ait fait un choix semi-conscient de diriger ses facultés vers lui.

De la même manière, les personnes en thérapie peuvent choisir consciemment ou inconsciemment de concentrer leur amour et leurs facultés sur nous, les thérapeutes. Comme l’a dit un de mes étudiants : tout transfert est érotique. C’est toujours une question d’amour. 

Nous pourrions nous interroger sur la part des sentiments exprimés par notre patient à notre égard qui relève du cadre sécurisé de la relation thérapeutique et de l’espoir qu’elle représente, et quelle part, le cas échéant, est attribuable à notre être réel. Le premier ensemble de sentiments est généralement attribué au domaine du transfert/contre-transfert, tandis que le second relève de la relation réelle dans le monde extérieur. Cependant, il est impossible de distinguer clairement les deux.

Ces types de projections sont omniprésents dans toute relation, même en dehors du cadre thérapeutique. L’élément crucial dans la relation thérapeutique réside dans la promesse et l’obligation éthique de placer le bien-être de notre patient au premier plan. Cela signifie garder à l’esprit, avant tout, la part qui découle de la répétition des schémas passés dans l’histoire du patient, tout en maintenant une connexion avec nos patients dans le ici et maintenant du monde extérieur.

Tout comme le capitaine Picard est enclin à la promesse de guérir son cœur solitaire et meurtri par les mains et le corps emplis d’amour de Kamala, nous pouvons aussi être tentés par nos patients. Les projections archétypales peuvent aussi être particulièrement flatteuses.

Cependant, à l’instar du Capitaine Picard, il est essentiel de trouver la force de résister sans rejeter. Dans une certaine mesure, nous devons canaliser et amplifier les qualités positives que nos patients nous transfèrent, tout en veillant à ne pas nous identifier à ces aspects.

La raison pour laquelle Kamala est plus attirée par le capitaine Picard que par tout autre est qu’il dégage le calme et la confiance. Au fond de lui, il sait qu’il serait digne de son amour, qu’il a quelque chose à offrir et qu’il pourrait lui plaire. Elle se sent en sécurité avec lui parce qu’il ne souffre pas d’insécurité et n’a pas besoin des autres pour se sentir entier. Il n’a pas besoin de se servir d’elle ou de la dominer. De plus, il a confiance en ses limites, ce qui fait qu’il n’a pas peur d’elle. Il n’adhère pas au mythe masculin du féminin de Rutter.

Bien que nous puissions parfois manquer de confiance dans le monde extérieur, en tant que thérapeutes, il est essentiel de puiser dans notre « capitaine Picard intérieur » pour incarner cette confiance profonde et cette estime de soi. Cela permet à nos patients de voir et de sentir ce modèle, les encourageant ainsi à développer ces qualités en eux-mêmes.

Kamala explique que ses pouvoirs empathiques peuvent détecter un homme de passion et de conviction, sans faille, maître de lui, et qu’elle aimerait savoir ce qu’il y a derrière le mur. Le capitaine Picard ressent le danger imminent lorsqu’elle atteint le cœur du sujet. C’est un homme fier, solitaire et profondément marqué par son passé, ce qui rend les paroles de Kamala d’autant plus touchantes. 

En plaçant son bien-être avant le sien, il maintient une certaine distance et répond qu’il n’y a rien derrière le mur, et qu’il est un homme insipide. Elle le met en garde contre le fait de minimiser l’intérêt qu’une métamorphe le trouve intéressant. Bien qu’il en reconnaisse l’importance, il ne s’y abandonne pas. « Je ne trouve pas cela anodin. Je m’efforce de rester aussi insipide que possible. » Malgré son insistance pour qu’il lui rende visite, il refuse. Elle lui rappelle alors que même les murs de Jéricho sont tombés.

De même, nos patients peuvent ressentir une grande frustration si nous résistons trop ou si nous retenons trop de nous-mêmes trop longtemps.

Lorsqu’il lui demande pourquoi elle agit ainsi, elle affirme qu’il ne peut y avoir qu’une raison : « une part de vous le veut ». Elle a probablement raison.

De même, il y a une part de vérité lorsque nos patients perçoivent nos propres vulnérabilités, ressentent intuitivement notre profond désir de guérison et pressentent qu’une part de nous aspire à leur amour et à leur affection.

« Ces femmes acceptent notre invitation à dévoiler leur intimité : elles nous livrent des sensations longtemps cachés, des rêves et des fantasmes. Ces sentiments, souvent mêlés à des passions à la fois claires et obscures, tourbillonnent autour de nous.

Assez mystérieusement, presque à la manière d’une induction électromagnétique, nous, les hommes, ne pouvons nous empêcher, poussés par ce que les femmes nous font partager, de commencer à éprouver quelques-unes de nos craintes longtemps niées, de nos blessures, de nos espoirs et de nos fantasmes.

Tout comme la femme qui, dans une relation de confiance, peut rechercher chez l’homme une réponse à ce qui est blessé ou frustré en elle, l’homme peut commencer à regarder la femme comme une source de guérison pour lui-même. » (Rutter 1989, p. 21-22)

Comme un thérapeute suffisamment bon, le capitaine Picard résiste à la tentation d’accepter ce qui lui est offert. Il est profondément touché, mais il pense à son bien-être ainsi qu’au sien.

Il est crucial de permettre à nos patients de nous toucher émotionnellement et symboliquement. Aucun progrès thérapeutique significatif ne peut survenir si nous n’investissons pas pleinement de nous-mêmes dans la relation thérapeutique. Cependant, céder au charme d’un patient serait préjudiciable, car cela violerait nos propres principes et valeurs.

Le capitaine Picard sait que cela ne mènera à rien de bon. Il reconnaît que les promesses de gain ne sont que des illusions, et que les conséquences seraient trop graves. Comme dans toute relation en zone interdite, tomber amoureux de Kamala serait dévastateur pour sa dignité, sa réputation, son estime de soi, voire sa carrière.

Même s’il ne passe pas à l’acte, le simple fait de croire que Kamala pourrait combler sa vie et guérir ses blessures lui infligerait une douleur éternelle

Avouer son désir à Kamala comporte le risque de l’encourager, de devenir ainsi son amant fantomatique (ghostly lover), l’empêchant de suivre son propre chemin.

Cela peut sembler cruel et insensible à Kamala, voire même malhonnête, mais le capitaine Picard résiste dans l’intérêt général. Kamala doit demeurer confinée dans ses quartiers jusqu’à l’arrivée de son futur compagnon. Le capitaine Picard maintient ses distances et ne lui avoue jamais son désir. 

CONIUNCTIO

Le Trickster au service du Soi

Cependant, la vie œuvre de manière mystérieuse. Alors que les deux Ferengi rusés tentent de corrompre l’ambassadeur Kriosien pour obtenir Kamala, ce dernier est blessé et tombe dans le coma, compromettant ainsi les négociations de paix et la cérémonie de réconciliation prévues deux jours plus tard. La période de maturation sexuelle de Kamala touche à sa fin et elle doit s’unir à son compagnon permanent dans les deux jours. Elle implore alors le capitaine Picard de remplacer l’ambassadeur. Il consent une fois de plus dans l’intérêt supérieur.

Pour se préparer à cet événement, ils finissent par passer du temps ensemble. Un moment particulièrement touchant survient lorsqu’elle lui enseigne un chant de cérémonie sur un xylophone traditionnel. C’est à ce moment-là qu’il partage avec elle qu’il jouait du piano et que cela faisait plaisir à sa mère.

La mention de sa mère est d’une grande signification. Dans la série plus récente « Star Trek : Picard » (2021-2023), on découvre que la blessure profonde de son enfance est liée à la perte de sa mère lorsqu’il avait dix ans. Elle était une personne pleine de vie et d’imagination, mais elle traversait également des périodes de profond trouble. Même s’il a oublié certains détails, Picard porte le poids du regret pour son suicide. Cet événement traumatisant a influencé sa décision de mener une vie dans les étoiles et a alimenté ses hésitations quant à établir une relation amoureuse durable.

Amitié symbolique

Sentant toujours la résistance du capitaine Picard, Kamala boude et lui demande s’il ne la trouve pas désirable. Sa réponse (dans la VO, et non VF) est magnifique : « Je vous trouve indisponible. » Elle s’excuse pour sa question.

À ce stade, la tendresse dans les yeux et l’expression de capitaine Picard est palpable. Grâce au leur collaboration, la confiance et l’acceptation de qui est réellement l’autre se sont développées des deux côtés. Bien que Kamala retombe brièvement dans le piège de vouloir le séduire, cette erreur est vite rectifiée et le capitaine Picard accepte sa vraie nature.

Avec la confiance qui s’est établie entre eux, il n’a plus besoin de se défendre aussi vigoureusement contre ses avances. Il peut répondre honnêtement, sans attitude défensive ni rejet.

Un résultat similaire est possible dans une analyse longue, surtout une fois que les projections personnelles sont largement éliminées. Les auteurs jungiens évoquent alors le potentiel d’une « amitié symbolique » (Henderson 1954, cité dans Wiener 2009, p. 25) ou d’une « véritable coniunctio » (Kalsched 2014, p. 164).

Kamala avoue que c’est la toute première fois de sa vie qu’elle passe du temps seule, réfléchissant à des questions curieuses sur son identité et ses désirs lorsque personne d’autre n’est présent. La seule réponse qui lui vient est : « Je suis à vous, Alrik de Valt. » Picard lui demande à nouveau si elle le fait de son plein gré. Elle répond que c’est un bel honneur d’avoir été choisie par son peuple pour apporter la paix, mais qu’elle trouve ironique de rencontrer un homme tel que Picard la veille de la cérémonie.

Leur conversation est interrompue par l’arrivée du chancelier Alrik. Lorsque le Capitaine Picard le rencontre, il est déçu. Peu intéressé par les sensibleries ou par la métamorphe, il ne se soucie que des accords commerciaux.

La soirée précédant la cérémonie, Kamala demande à Picard de rester et de lui tenir compagnie car elle ne veut pas être seule. Elle avoue qu’elle aime le son de sa voix et propose d’éteindre les lumières pour l’écouter. Peut-être à cause de sa propre détresse intérieure face à l’injustice d’un mariage aussi malheureux, il accepte de rester. Cependant, il continue à maintenir une certaine distance : « laissez la lumière ».

Afin de garantir un cadre thérapeutique sécurisé, la relation doit demeurer dans la lumière de la conscience.

Elle lui demande s’il considère qu’elle est la forme de vie le plus exceptionnelle qu’il ait jamais rencontrée au cours de sa longue carrière d’exploration spatiale. Il acquiesce.

A ce stade du travail, il est important que les thérapeutes se sentent libres d’exprimer le fait qu’un patient les touche, simplement et sans ambiguïté.

Dans un moment de tendresse, elle effleure son front. Il demande s’il n’a pas fait tout son possible pour éviter cela. Elle dit que c’est peut-être le plus sûr moyen de séduire une métamorphe.

Capitaine Picard : « Je ne veux pas me servir de vous comme font les autres. »

Kamala : « Mais vous n’êtes pas comme eux. Jamais vous ne vous serviriez de moi. C’est pourquoi je suis près de vous cette nuit. »

La raison pour laquelle nos patients choisissent de nous aimer réside dans le refuge que nous leur offrons. Pour beaucoup, c’est une opportunité inédite. Il est donc essentiel de maintenir des limites claires et de ne jamais utiliser notre position à des fins personnelles. Le potentiel de guérison et de transformation s’accompagne également du risque de revivre la première blessure (rewounding).

L’union transformatrice

Le lendemain, peu avant la cérémonie, Kamala explique au capitaine Picard qu’il n’y a pas de plus grand plaisir ni de plus grand désir pour une métamorphe que de se lier, à la fin de son cycle de maturation, avec un homme avec qui elle peut faire monter son esprit et son cœur jusqu’à des sommets infinis, et de s’entendre dire : « En sa présence, je sais que je m’aime ».

Elle révèle qu’elle s’est attachée à lui et que ce qu’elle est aujourd’hui, elle le sera pour toujours. Choqué par cette révélation, le capitaine Picard lui dit de renoncer à la cérémonie. Mais elle sait qu’il ne fera jamais passer ses propres désirs égoïstes avant les besoins du bien commun, et maintenant qu’elle s’est liée à lui, elle non plus ne le fera pas.

Avec le recul, on réalise qu’il s’agissait d’un choix conscient de sa part de se lier à lui.

Sachant que son cycle de maturation sexuelle touchait à sa fin, elle lui a demandé de rester avec elle et lui a effleuré le front. Nous pouvons imaginer que le moment ultime de mis en place du lien émotionnel s’est produit à ce moment-là : dans l’instant tendre du toucher corporel.

Peu importe l’innocence du contact physique, cela a suffi pour sceller le destin. Elle a décidé qu’il était l’élu, et il l’a laissé faire, tout en continuant à sauvegarder les limites.

Kamala a ainsi fait le choix d’être la personne qu’elle désirait vraiment être. Elle aurait pu attendre de rencontrer son futur mari et s’unir à lui le lendemain matin. Cela aurait altéré sa destinée, la transformant en quelqu’un d’autre. Une voie plus aisée peut-être, mais une vie marquée par l’inconscience. Au lieu de cela, elle a opté pour la conscience, la maturité et l’individuation.

En prenant l’histoire au pied de la lettre, nous sommes consternés à l’idée qu’elle doive désormais façonner sa vie pour un homme qui, selon nous, ne mérite pas ses talents ni son amour. Beaucoup d’entre nous espèrent une fin hollywoodienne où le capitaine Picard, tel un chevalier, lui déclare son amour et la libère de cette vie d’oppression.

La vraie maturation, cependant, est d’une nature différente. Consciente pleinement de sa propre nature intérieure, elle a discerné dans le capitaine Picard quelque chose qu’elle souhaitait pour elle-même.

Elle a choisi de s’engager avec lui, et uniquement lui, et de devenir pour toujours une personne qu’il puisse aimer. Mais seulement parce que c’est le genre de personne qu’elle aspire à être.

Elle n’a poursuivi aucun des autres hommes qu’elle a croisés sur le vaisseau. Lui seul restait dans ses pensées lorsqu’elle était seule. Lui seul a relevé le défi au lieu de l’éviter. Il était le seul capable de résister à l’exploitation de Kamala pour son propre bénéfice tout en permettant à Kamala de le toucher profondément.

C’est une partie de la tâche que nous, thérapeutes, devons accomplir pour nos patients. De plus, nous devons également laisser l’histoire se dérouler naturellement : nous devons faire preuve de patience et avoir confiance en la vie.

Chaque fois que le Capitaine Picard s’éloignait, la foi, la providence, ainsi qu’une bonne dose d’énergie du Trickster, faisaient en sorte que, finalement, travailler pour le bien commun signifiait passer du temps à collaborer étroitement avec elle : un temps durant lequel ils apprenaient à se connaître et formaient un attachement sain de l’âme.

Dans ses derniers mots, Kamala le rassure en affirmant qu’elle demeure empathique et qu’elle saura plaire au chancelier Alrik et assurer la paix entre les deux mondes même sans lien avec lui. Elle est en paix avec son choix et avec qui elle est.

Elle a amor fati (amour du destin).

Elle ajoute en plaisantant qu’elle espère qu’il aime Shakespeare. Bien que son intérêt initial pour Shakespeare soit né de son désir de se lier au capitaine Picard, cet intérêt est désormais une partie intégrante de sa vie.

Dans le cadre d’une analyse approfondie et fructueuse, un phénomène similaire peut se produire.

« L’analyste est génériquement important en tant que constellateur de l’atmosphère dans laquelle l’histoire [du patient] émerge, et en tant qu’assistant dans la tâche de reconstruction et de compréhension, mais il ou elle est particulièrement important pour apporter les ingrédients les plus personnels de cette autre psyché dans l’intimité de l’analyse. » (Stein 1987, p. 52)

L’histoire personnelle, la personnalité et les qualités de l’analyste s’intègrent d’une manière ou d’une autre dans la vie de l’analysant. Ces influences ne se limitent pas seulement au présent et à l’avenir du patient, mais affectent également son passé. La façon dont l’histoire personnelle d’un patient est reconstruite au fil de l’analyse, ainsi que sa personnalité et son récit, sont profondément influencées par celles du thérapeute.

On peut supposer que le processus est également réciproque. En tant que thérapeutes, notre histoire de vie, tant passée que future, peut également être profondément influencée par nos patients. Comme dans toute autre relation significative, nous sommes profondément transformés par notre lien avec une autre personne.

Les limites du lien thérapeutique

Pour Kamala, le capitaine Picard est son premier amour : sa première romance qui lui apprend qui elle est et qui la prépare à faire des choix sains dans toutes ses relations importantes ultérieures. Dans le monde réel, c’est le rôle que nos figures parentales sont censées jouer.

Lorsque ces premières relations sont malsaines, les gens peuvent devenir vulnérables au risque d’être utilisés et rejetés.

Nos patients ont une seconde chance d’avoir un premier amour sain avec un thérapeute suffisamment bon qui comprend le potentiel ainsi que le risque de cette constellation particulière.

Il existe cependant des différences importantes entre le lien parental et le lien thérapeutique (ou autres relations en zone interdite).

Même si tous les enfants doivent éventuellement se séparer de leurs figures parentales en termes de besoins primaires de dépendance et d’indépendance de pensée et d’action, les parents continuent idéalement d’être une source de soutien et d’amour tout au long de la vie. La séparation n’est pas littérale et nette, mais symbolique et fluide.

Un lien parent-enfant sain permet d’alterner entre l’indépendance et une dépendance temporaire et partielle, surtout lorsque la vie les confronte à des défis importants.

Même si, en tant que thérapeutes, nous continuons à préserver notre rôle après la fin de la thérapie et à laisser la porte ouverte au retour des patients en cas de besoin, le seuil et l’engagement de la reprise de la thérapie sont bien plus élevés que ceux d’appeler nos parents ou de les rencontrer pour prendre le thé. De même, en tant que thérapeutes, nous ne sommes tout simplement pas là pour surveiller que tout va bien avec nos anciens patients.

À la rigidité des limites et aux adieux stricts s’ajoute le manque de relation corporelle. Bien qu’une relation sexuelle soit également hors de question avec les parents, il existe de nombreuses autres façons de se préoccuper d’autrui de manière incarnée. Cela inclut non seulement l’affection physique, mais aussi des actes simples comme partager un repas, aider à un déménagement, faire du babysitting, apporter un cadeau, remarquer une nouvelle coupe de cheveux. En bref : faire partie du quotidien incarné de chacun.

Aucune de ces choses n’est possible dans la relation thérapeutique.

Par conséquent, il peut sembler particulièrement cruel à de nombreux patients de partager une intimité aussi incroyable avec un autre être humain, de créer le lien sain le plus profond qu’ils aient jamais eu, tout en obéissant aux limites les plus strictes et avec pour seul résultat possible de dire au revoir.

En théorie, les patients sont censés intégrer les qualités du lien et nouer une relation avec leurs figures intérieures, de sorte que la présence du thérapeute en chair et en os n’est plus nécessaire.

Kamala a réussi. Cependant, nos patients ne sont pas des métamorphes empathiques : ce sont des individus dotés de leurs propres désirs et aspirations. Se conformer aux attentes, même de la part d’un thérapeute bien intentionné et convaincu de la légitimité de l’objectif analytique, peut entraîner un certain coût.

De plus, nos patients ne sont pas uniquement des êtres psychiques et spirituels. Ce sont aussi des animaux à sang chaud. Il est crucial de reconnaître le risque réel que l’analyse puisse devenir une forme de rejet du moi incarné du patient, et que la fin de l’analyse puisse à nouveau causer une blessure.

Le ROLE de la SOCIETE

Idéalement, la société devrait mettre en place des structures adéquates pour suppléer aux lacunes parentales lorsque cela s’avère nécessaire. Elle devrait également accorder une attention particulière à la protection des individus vulnérables contre l’exploitation sexuelle, notamment à un jeune âge (au-delà de l’âge de consentement, qui varie de 14 à 18 ans selon les pays) et/ou dans des relations où un déséquilibre de pouvoir existe.

Malheureusement, l’établissement de règles plus strictes en matière de conduite sexuelle ne suffit pas. Ces réglementations perdent leur sens lorsque les témoins restent passifs face aux violations. Parfois, ces règles se retournent contre les victimes de l’exploitation, car les gens les culpabilisent et blâment, par crainte des conséquences, des règles qui sont censées assurer leur protection.

Ce qu’il faut de toute urgence, c’est une prise de conscience accrue de la dynamique et des dommages potentiels du comportement romantique et/ou sexuel dans les relations en zone interdite.

Une bonne modélisation est également essentielle.

En l’absence de limites saines établies par nos propres parents et dans les relations ultérieures, nous nous tournons vers la culture populaire pour trouver des indices sur la façon de penser et de se comporter. Et pourtant, la culture populaire a encore du chemin à faire pour décrire correctement la manière dont les thérapeutes, les enseignants, etc., devraient se comporter avec les personnes dont ils ont la charge.

Article original (en cours de révision chez IJJS)
et traduction par Peggy Vermeesch.

Mai 2024

Bibliographie

  • Henderson, J.L. (1954) Resolution of the Transference in the Light of C. G. Jung’s Psychology [Résolution du Transfert à la Lumière de la Psychologie de C. G. Jung, article non traduit en français], cité dans Wiener 2009, p. 25.
  • Kalsched, D. (2014) The Inner World of Trauma : Archetypal Defenses of the Personal Spirit [Le Monde Intérieur du Traumatisme : les Défenses Archétypales de l’Esprit Personnel, livre non traduit en français].
  • Knobloch-Westerwick, S., Glynn, C.J., & Huge, M. (2013). The Matilda Effect in Science Communication : An Experiment on Gender Bias in Publication Quality Perceptions and Collaboration Interest [L’effet Matilda dans la communication scientifique : une expérience sur les préjugés sexistes dans les perceptions de la qualité des publications et l’intérêt pour la collaboration, article non traduit en français].
  • Rutter, P. (1989) Le Sexe Abusif [traduit de l’anglais : Sex in the Forbidden Zone, littéralement : Le Sexe dans la Zone Interdite]
  • Stein, M. (1987). Looking Backward: Archetypes in Reconstruction [Regarder en Arrière : les Archétypes dans la Reconstruction], dans Archetypal Process in Psychotherapy [Processus Archétypal en Psychothérapie, livre non traduit en français]
  • Wiener, J. (2009) The Therapeutic Relationship : Transference, Countertransference, and the Making of Meaning [La Relation Thérapeutique : Transfert, Contre-Transfert et Création de Sens, livre non traduit en français]

Pour aller plus loin :

  • Des articles, en lien avec Donald Kalsched, figurent dans les numéros des cahiers jungiens de psychanalyse :
    • 117 (mars 2006) Figures miroir
    • 119-120 (octobre 2006) Le traumatisme dans l’analyse
    • 123 (septembre 2007) Approcher l’ombre

 

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Peggy Vermeesch

Basée en France, Peggy Vermeesch est psychopraticienne d’orientation jungienne. Professeure d’anglais à l’Université de Bretagne Occidentale, elle a également un long parcours de chercheuse en géophysique à l’Imperial College London, l’université du Texas (États-Unis) et celle de Southampton (Royaume-Uni).

Contributrice au sein de l’équipe Espace Francophone Jungien (EFJ) elle assure également les liens entre le monde anglophone (Jungian Psychology Space) et francophone.

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