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Ombre collective et bouc émissaire : l’essence du mal (2/3)

L’épisode « L’essence du mal » de Star Trek illustre les concepts jungiens d’identification à la persona, d’ombre collective, d’inflation et la notion de bouc émissaire selon Erich Neumann. Les dialogues font écho à l’imagination active. La nécessité d’intégrer l’ombre ressort clairement.

Version anglaise de cet article

Cet article s’appuie sur l’ouvrage de l’analyste jungien Erich Neumann Depth psychology and a New Ethic (1949) [Psychologie des Profondeurs et une Nouvelle Éthique, livre non traduit en français].

Dans l’article précédent Les Borgs de Star Trek : symbole de l’inconscient collectif dans son aspect d’ombre dévorant et annihilant, j’ai indiqué succinctement quelle était la signification pour Erich Neumann de l’Ancienne Ethique. Il s’agit de maintenir un point de vue éthique en éliminant tout ce qui est en conflit avec nos valeurs les plus élevées. En outre, les concepts suivants ont été explorés : suppression, répression, persona, ombre et possession.

L’identification à la persona

Neumann écrit :

« La situation la plus courante et la plus familière à l’homme lambda est celle où le moi s’identifie aux valeurs éthiques. Cette identification passe par une identification du moi à la persona. Le moi se confond avec la personnalité de façade (qui n’est bien sûr en réalité que la partie de la personnalité adaptée au collectif) et oublie qu’il possède des aspects qui vont à l’encontre de la persona. »

L’inflation

« Dans ce processus, le moi est victime d’une inflation très dangereuse – c’est-à-dire d’un état dans lequel la conscience est « gonflée » sous l’influence d’un contenu inconscient. »

Tant que nous ne voyons pas qui nous sommes vraiment et que nous nous considérons comme identiques au masque idéalisé que nous affichons à l’extérieur, notre moi s’identifie à notre persona. Parce que la persona est constituée de valeurs collectives, nous appelons cela une inflation. Nous sommes enflés, gonflés et possédés lorsque nous nous définissons en tant que contenus transpersonnels ou inconscients de notre psyché qui s’imposent à nous.

« Ce qui rend cet état de possession si dangereux… c’est qu’il empêche le moi et l’esprit conscient de parvenir à une véritable orientation vers la réalité. »

Dans notre conscience, les contenus réprimées qui sont incompatibles avec nos valeurs n’ont pas leur place. Retournés dans l’inconscient ils mènent une vie autonome d’ombre. Coupés de certaines parties de nous-mêmes, nous ne pouvons plus voir ce qui relève du réel. De ce fait notre vision de la réalité est limitée.

Ceci est tout aussi vrai au niveau personnel qu’au niveau collectif. À notre naissance nous découvrons une famille, une culture et une société organisée. Chacune a ses propres valeurs et son ombre collective, le tout solidement établi.

Il faut produire un effort énorme et dépenser beaucoup d’énergie pour s’extraire d’un système solidement établi qui nous a formé avant même la naissance.

De notre point de vue, il est indéniable que les Borgs de Star Trek représentent le mal à l’état pur (article précédent). Lorsqu’il s’identifie à la persona, notre moi nie complètement qu’une partie de nous ressemble à une partie des Borgs. Rien de bon ne réside dans le Collectif Borg.

Mais, en tant qu’ombre inconsciente et donc largement autonome, les Borgs croient inébranlablement qu’ils travaillent pour le plus grand bien. Pour illustrer ce point, je propose quelques citations de la Reine Borg.

« En assimilant d’autres races à notre collectif, nous les rapprochons de la perfection. »

« Ils ont laissé derrière eux leurs vies triviales et égoïstes, et ils renaissent avec un plus grand but. Nous les avons délivrés du chaos à l’ordre. »

Et une citation d’un ancien drone :

« Lorsque nous étions liés, nous n’avions pas de conflit ethnique. Il n’y avait pas de crime, pas de faim, pas de problèmes de santé. Nous vivions comme une famille harmonieuse. »

L’imagination active

L’imagination active est une méthode redécouverte et développée par Carl Jung. Elle consiste à donner voix et représentation aux différentes parties de notre inconscient, puis à dialoguer consciemment avec elles. Dans le livre rouge de Jung, exemple de l’imagination active, sont consignés les échanges, écrits et visuels, qu’il a eu avec son inconscient alors qu’il traversait un moment difficile de sa vie.

De tels récits d’imagination active montrent que ces parties de nous, représentées par des figures intérieures, sont absolument convaincues qu’elles nous aident. Comme les Borgs, elles sont déterminées et moralisatrices et n’ont absolument aucune idée des dommages qu’elles peuvent causer à notre vie extérieure. Elles sont autonomes et inconscientes.

Du point de vue des Borgs

On pourrait renverser la situation et considérer les Borgs comme s’identifiant à leur propre persona véhiculant les valeurs les plus élevées : la perfection, l’ordre et l’harmonie. Dans le processus de reniement et de répression des éléments qui sont incompatibles avec cet ordre, leur individualité et leur liberté se trouvent reléguées dans l’ombre.

Ceci est décrit dans les épisodes de Star Trek : Voyager appelés « Unimatrice Zéro« . La reine Borg découvre une mutation dans le collectif Borg qui affecte un drone sur un million. Pendant que ces drones se régénèrent, comme s’ils dormaient, ils expérimentent leur individualité et peuvent interagir les uns avec les autres dans un environnement virtuel rempli d’arbres. En se réveillant à la vie extérieure sur leur vaisseau spatial, un cube Borg complètement dépourvu de nature, ils ne se souviennent de rien.

Tout comme notre ombre et autres aspects inconscients apparaissent dans nos rêves durant notre sommeil pour compenser notre orientation consciente, c’est également le cas pour les Borgs. Bien entendu, la Reine Borg entreprend d’éliminer ce dysfonctionnement afin que son Collectif puisse à nouveau être conforme à l’incarnation de la perfection.

Donc, si nous considérons à la fois les Borgs et La Fédération des Planètes Unies de Star Trek comme des civilisations en guerre, nous pourrions dire que les deux commettent la même erreur. En menant une vie unilatérale basée sur l’élimination de tout ce qui est incompatible avec leurs valeurs les plus hautes (l’Ancienne Ethique de Neumann), ils projettent chacun leur part d’ombre sur l’autre, qui est alors contraint de la vivre de manière inconsciente et autonome.

Nous pouvons penser que ce n’est pas une comparaison équitable. Les attaques des Borgs ne sont pas provoquées et menacent d’anéantir ce qui nous est le plus précieux : notre individualité. Aucune négociation ou compromis n’est possible. Comme ils le disent : « Toute résistance est futile ».

En revanche, la Fédération se contente de laisser les Borgs tels qu’ils sont, tant qu’ils n’essaient pas d’empiéter sur la liberté d’une autre espèce. Mais cette dernière mise en garde limite en fait le mode de vie accepté des Borgs : la reproduction et la croissance par assimilation d’autres espèces.

Le Borg n’est pas mauvais selon ses propres valeurs, puisque la liberté, l’individualité et ses corollaires de négociation et de compromis ne font tout simplement pas partie de ces valeurs.

D’autre part, la Fédération valorise toute vie et chaque individu, de sorte que ses actions sont en fait contraires à la croissance et à la prolifération des Borgs. Alors quelle civilisation est la plus morale selon ses propres valeurs ?

La projection d’ombre et la désignation comme bouc émissaire

Neumann écrit :

« L’ombre, qui est en conflit avec les valeurs reconnues, ne peut être acceptée comme une partie négative de sa propre psyché et est donc projetée – c’est-à-dire qu’elle est transférée vers le monde extérieur et vécue comme un objet extérieur. Il est combattu, puni et exterminé comme l’extraterrestre là-bas au lieu d’être traité comme son propre problème intérieur. »

Les Borgs prédateurs, qui menacent de manière réaliste le mode de vie de toutes les autres espèces, se prêtent parfaitement à la projection d’ombre de la Fédération hautement individualiste. Psychologiquement, cela doit être ressenti comme un tel soulagement pour la Fédération qu’elle peut simplement renier les parties incompatibles avec ses valeurs. Ils peuvent adopter des comportements moraux et bons et être les héros qui combattant les Borgs qui vivent volontairement ces parties négatives rejetées.

Mais il n’est pas toujours facile de trouver le parfait porteur de l’ombre collective. Parfois, la projection de l’ombre est plus arbitraire et un bouc émissaire doit être trouvé ou même créé.

Dans l’épisode de Star Trek : La Nouvelle Génération intitulé « L’Essence du Mal », une navette s’écrase sur une planète inhabitée. Lorsque l’équipage de l’Enterprise se téléporte, ils rencontrent « une nappe noire ». Bien que le mot ombre ne soit jamais utilisé, le cliché ci-dessous évoque clairement cette idée.

Lorsque l’ombre insiste pour savoir pourquoi ils veulent se rendre à la navette, le commandant Riker répond qu’ils doivent s’occuper des membres de l’équipage blessés et que « préserver la vie, toute forme de vie, est une chose très importante pour nous. Nous croyons que toute forme de vie dans l’univers a le droit d’exister. » C’est l’une des plus hautes valeurs de la Fédération.

L’ombre répond : « Une opinion intéressante que je ne partage pas. » Lorsque le lieutenant Yar, membre de l’équipage principal, tente de traverser, l’ombre la tue dans un acte brutal et inattendu que personne n’a vu venir.

Pendant ce temps, la psychologue du vaisseau spatial, la conseillère Deanna Troi, est blessée et coincée dans la navette. Elle est à moitié humaine, à moitié bétazoïde et a la capacité de ressentir les émotions des autres êtres. A travers son dialogue avec l’ombre, nous apprenons son origine.

Troi : « Vous me semblez si seul. Abandonné. Qui vous a laissé ici ? »

Ombre : « Des créatures dont la beauté éblouisse ceux qui la contemplent. Elles n’existeraient pas sans moi. »

Troi  : « Vous viviez avec elles ? »

Ombre : « Elles ont découvert le moyen d’expulser de leur être tout le mal viscéral qui bouillonnait en elles. Avec le temps il a pris une forme tangible, poisseuse et répugnante. »

Troi  : « Vous ? »

Ombre : « Oui. »

Troi : « Elles sont venues ici pour se débarrasser de vous. »

Ombre  : « Exactement. »

Fidèle à son attitude empathique, Troi répond : « Comme je vous plains ». Mais cela ne fait qu’irriter davantage l’ombre et la rend encore plus dangereuse. Finalement, l’équipage trouve un moyen de tromper l’ombre en baissant sa garde et en s’échappant simplement, laissant l’ombre derrière.

Dans ce cas, il n’y a pas de rédemption possible car l’ombre n’est pas la leur. Elle est complètement détachée de celui qui en est le porteur à l’origine.

Les créatures fictives, dont la beauté éblouisse ceux qui la contemplent, ont réussi à faire ce qu’aucune société ne pourrait jamais faire dans le monde extérieur non fictif. Elles ont poussé ou projeté toutes leurs caractéristiques qui n’étaient pas en phase avec leurs valeurs sur une seconde peau, puis ont réussi à l’éliminer, à l’abandonner et à couper à jamais leur lien avec elle.

En réalité, nous ne pouvons jamais nous débarrasser de notre ombre. Cela est vrai aussi bien pour les individus et leur ombre personnelle que pour les civilisations et leur ombre collective.

Neumann écrit :

« Un groupe qui est psychologiquement divisé, en étant consciemment identifié à des valeurs éthiques et en même temps inconscient de son ombre, manifestera, en plus de sentiments inconscients de culpabilité, un sentiment psychologique d’insécurité qui est une compensation à la suffisance de son attitude conscient. »

Plus nous réprimons les parties incompatibles, plus l’ombre se renforce. Il devient alors plus difficile de maintenir la scission, et donc l’illusion de représenter un être uniquement bon. 

Peu importe à quel point nous persécutons, rejetons et même tuons notre bouc émissaire désigné, nous ne pouvons pas éliminer l’ombre à long terme pour le simple fait qu’elle fait partie de nous-mêmes.

Alors que pouvons-nous faire à la place ?

La réponse est qu’il est nécessaire de mettre fin à la scission en intégrant notre ombre.

L’article suivant , basé sur Star Trek : Picard illustre l’idée de la Nouvelle Ethique comme décrite par Erich Neumann.

Article original et traduction par Peggy Vermeesch.

Octobre 2023

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Peggy Vermeesch

Basée en France, Peggy Vermeesch est psychopraticienne d’orientation jungienne. Professeure d’anglais à l’Université de Bretagne Occidentale, elle a également un long parcours de chercheuse en géophysique à l’Imperial College London, l’université du Texas (États-Unis) et celle de Southampton (Royaume-Uni).

Contributrice au sein de l’équipe Espace Francophone Jungien (EFJ) elle assure également les liens entre le monde anglophone (Jungian Psychology Space) et francophone.

En savoir plus sur Peggy Vermeesch

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