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Peut-on être envahi par l’ombre maléfique d’un autre ? (2/3)

Notre ombre s’épaissit intrinsèquement lorsqu’une ombre projetée par une autre personne s’y ajoute. Nous sommes alors confrontés à un choix crucial qui peut être une question de vie ou de mort : soit nous cachons cette ombre, soit nous nous soumettons à elle, même si elle est plus grande que nature.

Version anglaise de cet article

Cet article aborde les dynamiques des relations codépendantes et narcissiques à travers l’analyse des contes L‘enfant de Marie, Blanche-Neige et La Petite Sirène. Il explore également le fait de ce qui arrive quand on tombe dans le piège de porter l’ombre de quelqu’un d’autre et de la signification symbolique de ne pas avoir de voix.

Dans la première partie de cette série d’articles (La guérison des traumatismes précoces et des abus narcissiques à partir des contes de fées), j’ai exploré ce que nous pouvons apprendre de l’interprétation du conte L’Enfant de Marie en relation avec les personnes ayant grandi avec un parent narcissique. J’ai interprété les événements qui ont conduit à son expulsion du paradis et à sa descente sur Terre, où elle a finalement eu l’opportunité de mûrir et de grandir. J’ai aussi commencé à explorer le parallèle avec l’histoire de Blanche-Neige.

Les mères de Blanche-Neige et de Marie ne supportent pas l’idée que leur fille grandisse et devienne une belle femme incarnée et puissante. Elles prennent donc la décision de les bannir dans la forêt en séparant la partie qui les offense.

Les deux mères agissent d’une manière particulièrement horrible. La mère de Blanche-Neige va jusqu’à envoyer un chasseur tuer sa fille et lui prendre les poumons et le foie pour qu’elle puisse les manger. La persécution envisagée est physique et définitive, entraînant la mort. Elle incarne littéralement l’archétype de la Mère porteuse de mort (Death Mother).

Sur le plan psychologique, l’abus de la Vierge Marie est encore plus grave : elle culpabilise, fait honte et blâme la jeune fille. Elle n’assure aucune responsabilité pour sa propre réaction cruelle, vengeresse et d’une dureté inappropriée.

Elle dit :

« Tu m’as désobéi et tu as menti. Tu n’es plus digne de rester au paradis. »

Cette traduction et celles qui suivent sont faites à partir de la version suivante en anglais : The Original Folk and Fairy Tales of the Brothers Grimm.

Alors qu’il est pleinement reconnu que la reine est maléfique dans l’histoire de Blanche-Neige, l’ombre de la Vierge Marie est cachée et projetée sur la jeune fille qui doit porter toute la charge comme une honte.

Après l’avoir hébergée et gâtée au paradis pendant onze ans, la Vierge Marie plonge brutalement la jeune fille dans l’autre extrême, l’abandon complet dans la forêt, livrée à elle-même, sans voix pour appeler à l’aide, ni possibilité de s’échapper ou même de chercher de l’aide. Elle agit ainsi sans aucun avertissement ni explication, sans dire au revoir et sans donner à la fille le temps de se remettre de son choc et d’assumer la responsabilité de sa désobéissance et encore moins de comprendre ce qui se passe.

« Tout à coup, la jeune fille sombra dans un sommeil profond, et quand elle se réveilla, elle était allongée sur le sol sous un grand arbre entouré de buissons épais de sorte qu’elle était complètement encerclée. Sa bouche était également verrouillée afin qu’elle ne puisse pas prononcer un seul mot. »

C’est à ce stade que nous commençons à nous sentir quelque peu confus. Qu’est ce qui s’est passé ? Et qui est responsable de cette situation épouvantable ? La jeune fille est-elle malveillante parce qu’elle a obstinément continué à mentir et n’a pas assumé la responsabilité de ses actes ? Ou la Vierge Marie est-elle malveillante pour avoir infligé une punition aussi sévère et disproportionnée ? Mais comment la Vierge Marie pourrait-elle être mauvaise ?

Chaque parent, en fait presque chaque personne sur cette Terre, serait d’accord pour dire que ce que cet enfant a fait était tout à fait normal et prévisible tellement il est curieux et ira voir ce qu’il lui est interdit de regarder. C’est propre au processus de croissance et cela fait partie de tous les petits actes de rébellion contre les parents qui montrent qu’un enfant a une volonté saine de grandir et de connaître le monde au-delà de la sécurité et des limites de son paradis d’enfance. À la puberté, ce comportement devrait s’intensifier mais, en même temps, l’adolescent aura appris à assumer la part de responsabilité de son comportement.

Mais cet enfant n’a pas eu une enfance normale avec de petits conflits dont il faut tirer des leçons instructives et de petits actes de rébellion et de recherche de limites. Elle a grandi au paradis et a mené une vie superficielle où rien ne se passe jamais. Cela signifie qu’à quatorze ans elle est encore une enfant et ne peut en aucun cas assumer la responsabilité de ce qu’elle a fait. L’histoire nous porte à croire que c’est de la faute de la jeune fille. En tout cas, c’est elle qui est forcée d’en supporter les conséquences.

Lu de cette façon, il y a un parallèle avec le comportement d’un facilitateur codépendant ou, à l’extrême,  d’une personne narcissique. Ces types de personnes activeront ou manipuleront subtilement les personnes proches d’elles dans une position de dépendance et en les isolant du monde. Leur cible devient incapable de faire face au quotidien. Ils préparent la personne à l’échec, et quand leur cible échoue, ils la blâment, lui font honte et la punissent comme si tout était de sa faute.

De même, Marie prépare l’enfant à l’échec, d’abord en négligeant de le sensibiliser à la vie et à la responsabilité, puis en le plaçant dans une situation où il est voué à l’échec.

Une lecture sous un angle différent met en relief la peur d’une agression inattendue et inappropriée. Le fait que l’enfant de Marie continue, par la suite, obstinément à mentir sur ses actions est conforme au comportement d’un enfant qui doit faire face à la rage disproportionnée d’un parent pour avoir bravé des interdictions.

Une histoire vraie me vient à l’esprit. C’est celle d’un enfant qui, pour plaisanter, a enfermé sa grand-mère hors de la maison. Si la grand-mère avait ri de l’espièglerie puérile et de l’humour maladroit de l’enfant, elles auraient pu rire ensemble et l’enfant aurait déverrouillé la porte très rapidement. Mais il s’avère qu’un traumatisme a été réveillé chez la grand-mère, elle a paniqué et a commencé à crier après l’enfant comme si celle-ci avait commis un péché impardonnable. L’enfant avait tellement peur qu’elle est allée se cacher à l’intérieur de la maison pour ne plus entendre sa grand-mère.

Finalement, l’enfant s’est rendu compte que cela ne faisait qu’empirer les choses et elle a rassemblé tout son courage pour déverrouiller la porte. La punition a été sévère. En plus d’avoir dû passer du temps seule dans la cave sombre et très effrayante, elle se souvient surtout de la honte d’avoir fait une chose aussi ignoble et de sa confusion car elle ne comprenait pas pourquoi c’était aussi méprisable.

De plus, malgré son jeune âge, c’est elle qui a dû se calmer et trouver le courage de faire ce qu’il fallait car sa grand-mère était incapable d’agir comme une adulte mature. Les rôles étaient inversés et l’enfant devait se comporter en  adulte et effectivement s’occuper de la grand-mère.

La petite fille seule dans la forêt

La fille du conte est complètement seule maintenant, seule avec sa culpabilité et sa honte, sans aucune possibilité d’entrer en relation avec une autre personne ou de ressentir la moindre sorte de chaleur humaine (ou animale), de compréhension, d’empathie ou d’amour. Blanche-Neige avait au moins les nains pour compagnie. L’enfant de Marie n’a personne.

Mais elle est enfin descendue sur Terre. Et contrairement au Ciel, la Terre a tout ce dont elle a besoin pour subvenir à ses besoins en termes d’abri, de nourriture et de chaleur.

L’arbre creux, symbole de la Mère Terrestre, la protège des intempéries. Les racines et les baies sauvages de la Terre lui donnent beaucoup plus de substance que les gâteaux et le lait sucré qu’elle avait au paradis. De plus, elle doit marcher loin pour les obtenir et travailler dur pour déterrer les racines et cueillir les baies. Elle devient plus forte, plus en contact avec son corps et elle apprend à subvenir à ses besoins. Au fil du temps, elle subit une transformation complète, et elle se débarrasse des vêtements dorés qui lui ont été donnés au paradis et qui sont maintenant usés, déchirés et inutiles : « une pièce après l’autre est tombée de son corps ».

Elle entre profondément en contact avec sa nature sauvage et apprend à faire confiance et à apprécier tout ce que la nature a à offrir, y compris la sensation de ses longs cheveux indomptés et la chaleur du soleil sur son corps nu : « Ses longs cheveux la couvraient de tous côtés comme un manteau. »

Son cœur a mûri et elle a maintenant pris conscience des plaisirs sensuels de son corps. C’est bien sûr le moment où un homme entre en scène. Ce n’est pas n’importe quel homme mais un Roi, autre symbole du Soi en tant que force motrice de l’individuation. 

Le Roi la trouve, fasciné par sa beauté il l’invite dans son château et après un certain temps, ils se marient.

On pourrait penser que ce mariage sacré entre la Reine et le Roi est la fin parfaite d’un conte de fées. Mais il y a des indices qu’ils ne vivront pas heureux pour toujours sans avoir d’abord surmonté certains obstacles. Le premier indice est que lorsqu’il lui demande de venir avec lui, elle ne peut pas répondre car elle n’a pas de voix.

C’est un thème que nous connaissons bien dans le conte La Petite Sirène de Hans Christian Andersen. Dans ce conte, Ariel, une sirène naïve qui a vécu une vie protégée, aux mains d’une figure paternelle surprotectrice et partiale, est contrainte par une sorcière qui lui fait renoncer à sa voix pour avoir des jambes et des pieds et remonter à la surface pour trouver l’amour. Mais quand elle y arrive, son prince décide qu’elle ne peut pas être la femme qu’il pensait qu’elle était et dont il est tombé amoureux quand il l’a entendue chanter auparavant. Tout ce qu’il voit maintenant est une femme qui ne peut pas parler

Sans sa voix, elle n’est qu’un reflet superficiel d’elle-même. Sans moyen de communication, elle ne peut littéralement pas montrer qui elle est.

De même, symboliquement, l’enfant de Marie est incapable d’entretenir des relations profondes avec qui que ce soit tant qu’elle ne peut pas parler. Son manque de sentiment est également suggérée par sa réponse tiède à l’invitation du Roi :

« Elle a seulement fait un oui de la tête subtilement. »

Ce n’est pas une réponse très enthousiaste ou incarnée d’être sauvée par un beau Roi ! Et le Roi n’est pas plus passionné qu’elle.

« Bientôt, il s’attacha progressivement à elle et il en fit sa femme. »

Il n’y a aucune mention du véritable amour, et certainement pas de l’amour passionné et incarné. Il n’y a même pas de baiser. Il l’a épousée parce qu’il « s’attacha progressivement ».

Mais la vie continue et un an plus tard, elle donne naissance à un beau fils. Curieusement, la Vierge Marie n’est pas intervenue lorsque sa fille a trouvé l’amour dans les bras du Roi, mais elle l’a fait lorsque sa fille a donné naissance à son premier fils.

Nous pourrions expliquer cela par le fait que, contrairement à l’histoire de La Petite Sirène, le Roi a épousé la fille malgré son incapacité à parler et à montrer sa vraie personnalité. Mais on peut aussi en déduire qu’il s’agit d’un amour quelque peu superficiel, basé sur les apparences extérieures et ses projections de la femme parfaite. Sans la possibilité de dialogue et de véritable lien profond, leur relation n’obtient jamais la prise de conscience dont elle aurait besoin pour se transformer en véritable amour terrestre.

Mais la relation avec son nouveau-né et le partage d’un attachement et d’un amour profonds avec lui ne nécessitent pas de voix. Ainsi, avec la naissance de ce bébé, la reine a une autre opportunité d’amour et de lien véritable. C’est à ce moment que la Vierge Marie interfère à nouveau.

De manière séduisante elle propose de redonner sa voix à la reine si elle admet avoir déverrouillé la porte interdite. En même temps, elle menace de lui enlever son bébé « si elle s’obstine et ne veut pas avouer ».

Une fois de plus, Marie projette son propre mal et l’entêtement de son cœur sur la reine. La reine, en mentant à nouveau, perd son nouveau-né. La perte d’un enfant serait totalement dévastatrice pour n’importe quelle mère mammifère mais cela ne semble pas déclencher de transformation ni même la moindre réaction car elle n’a tout simplement pas accès à son côté émotionnel.

De plus, la projection de l’ombre de Marie s’est encore plus imposée et maintenant les gens autour d’elle commencent à la voir comme un monstre mangeur d’enfants.

« Le lendemain matin, alors que le bébé n’était plus là, une rumeur se mit à circuler parmi le peuple selon laquelle la reine était une ogresse et avait mangé son propre enfant. »

Un an passe et la situation se répète. Cette fois, la reine est encore moins capable de lutter contre la projection et « les conseillers du roi exigent qu’elle soit exécutée ». Mais le Roi la protège malgré les preuves accablantes que quelque chose ne va pas.

Un an plus tard, elle donne naissance à une fille. La Vierge Marie intervient à nouveau mais cette fois emmène la reine au paradis où elle est autorisée à regarder jouer ses deux fils.

La reine ne peut toujours pas prendre ses responsabilités, ou en d’autres termes : intégrer son ombre, et perd ainsi son troisième enfant. Cette fois, même le roi ne peut pas la sauver de ses conseillers qui sont convaincus qu’elle est une ogresse qui a mangé tous ses enfants. Comme elle ne peut pas parler et se défendre, elle est condamnée au bûcher.

L’amour de son mari, le Roi, la sauve deux fois mais la troisième fois il ne peut plus l’épargner. On peut établir un parallèle avec Blanche-Neige où les nains sauvent Blanche-Neige du poison de la sorcière à deux reprises mais la troisième fois ils sont également incapables de la protéger.

L’enfant de Marie, ainsi que Blanche-Neige, doivent supporter les conséquences de leurs actes lors de la troisième attaque.

L’erreur de Blanche-Neige est relativement évidente : elle savait que la sorcière maléfique voulait la tuer, alors elle n’aurait pas dû croire que la pomme de l’inconnu était bonne à manger. Une partie de sa leçon était le discernement : apprendre à reconnaître le mal et s’en protéger. Et la façon de le faire est d’apprendre à connaître notre propre ombre, afin de pouvoir la reconnaître chez les autres. Bien que je ne sache pas comment elle a appris cette leçon dans le conte.

Dans le cas de l’enfant de Marie, son erreur a été de continuer à mentir et de ne pas assumer la responsabilité de ses actes : de son ombre.

Comment comprendre l’entêtement extrême et illogique de la reine, au point d’être prête à mourir pour elle ? En tant que lecteurs, nous pensons tous : admettez simplement ce que vous avez fait ! Cela ne valait pas la peine de perdre vos enfants, et ce n’est certainement pas la peine de mourir pour ça !

Mais c’est au moins en partie parce que nous ne considérons pas la transgression comme un péché impardonnable. Et ce n’est pas le cas. Alors pourquoi n’a-t-elle pas pu assumer la responsabilité de l’erreur innocente et compréhensible de sa jeunesse ?

La réponse se trouve dans la projection. Tout comme un enfant dans la vie extérieure ne s’attendrait jamais à ce que ses parents soient mauvais, l’enfant de Marie ne s’est jamais attendu à ce que sa sainte mère de substitution agisse injustement ou par vengeance. Par conséquent, toute punition, aussi sévère soit-elle, est interprétée comme étant méritée.

La honte d’être une personne aussi mauvaise et indigne est insupportable et finit par être repoussée, cachée, intériorisée et oubliée. Elle va dans l’inconscient où elle mène une vie secrète et autonome. Bien que cette honte puisse être oubliée au niveau conscient, elle reste juste sous la surface, donnant parfois lieu à des symptômes physiques. Elle est facilement déclenchée par la moindre perception que quelqu’un est mécontent de nous ou lorsque nous subissons une sorte de déception.

Tous ces facteurs ajoutent une part d’ombre qui est imposée de l’extérieur et qui s’additionne à notre ombre plus personnelle. Le choix entre continuer à cacher ou admettre l’existence de notre ombre, plus grande que nature, devient alors une question de vie ou de mort.

Peu importe le nombre de fois où la Vierge Marie dit à la reine que reconnaître sa désobéissance initiale et son mensonge ultérieur la sauvera et la rendra heureuse à nouveau, elle ne peut tout simplement pas le faire. Car accepter cette ombre horrible et pécheresse signifie la plongée dans le désespoir total de la honte, de l’absence de valeur et de l’anéantissement.

La reine a complètement succombé à la projection. Elle est obligée de vivre la partie perverse et obstinée de son parent narcissique. Au fond, elle croit qu’elle est têtue et mauvaise et qu’elle mérite donc une mort cruelle et douloureuse sur le bûcher.

Mai 2023

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Peggy Vermeesch

Basée en France, Peggy Vermeesch est psychopraticienne d’orientation jungienne. Professeure d’anglais à l’Université de Bretagne Occidentale, elle a également un long parcours de chercheuse en géophysique à l’Imperial College London, l’université du Texas (États-Unis) et celle de Southampton (Royaume-Uni).

Contributrice au sein de l’équipe Espace Francophone Jungien (EFJ) elle assure également les liens entre le monde anglophone (Jungian Psychology Space) et francophone.

En savoir plus sur Peggy Vermeesch

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