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C.G. Jung, les réseaux sociaux et le malaise des jeunes : un regard jungien

Manifestations actuelles de l’inconscient collectif, les réseaux sociaux peuvent être regardés comme des espaces où les individus projettent leurs désirs, leurs inquiétudes et leurs fantasmes. Quelles conséquences sur la psyché individuelle des jeunes  ?

© John Capo

Rachel Huber

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Connectés mais déconnectés : la génération smartphone

Je suis toujours très attentive à la manière dont les personnes franchissent la porte de mon cabinet. Shaïna, Fabien et Meryll, respectivement, 12, 19 et 26 ans, y pénètrent, tous trois, avec leur smartphone à la main…

Ils ne se sont jamais rencontrés, habitent des villes différentes, ont des origines et cultures très éloignées. Représentant de la jeunesse d’aujourd’hui, dont l’un des signes majeurs est cet outil de communication, le mal être, la perte de sens et une profonde tristesse sont leurs motifs de consultation. Leur point commun se situe dans une utilisation excessive des réseaux sociaux.

Nous allons observer Shaïna, Fabien et Meryll au travers des difficultés qu’ils rencontrent, dues à cette mutation technologique de notre société contemporaine et voir l’apport de la psychologie des profondeurs de Carl Gustav Jung à cette problématique.

L’inconscient selon Jung

Jung a introduit le concept d’inconscient collectif pour décrire les couches profondes de la psyché humaine qui sont partagées par toute l’humanité.

« Signalons en passant que l’inconscient ne renferme pas seulement des complexes naguère conscients, devenus inconscients par refoulement ; il recèle aussi des contenus qui lui sont propres, et qui, s’élevant des profondeurs inconnues, atteignent progressivement à la conscience. On ne doit nullement se représenter la psyché inconsciente comme étant seulement une sorte de réceptacle destiné aux contenus que la conscience rejette. » La guérison psychologique, C.G. Jung, pages 34-35.

Dès lors, on peut se représenter l’inconscient décrit par Jung comprenant  :

  • une dimension personnelle, oubliée et refoulée, comme le concevait Sigmund Freud,
  • une dimension collective, représentant une structure innée, universelle, qui serait le réceptacle de ces contenus inconscients de par leur nature propre, et non des suites du mécanisme de défense qu’est le refoulement.

Alors que l’aspect individuel de l’inconscient Freudien est nettement établi, en tant qu’il s’élabore à partir du vécu infantile de chaque individu, l’inconscient primordial de Jung apparait collectif dans sa structure globale. C’est-à-dire semblable chez tous les êtres humains. Et c’est à partir de cet inconscient primordial que la conscience a progressivement émergé au cours des siècles.

Jung consacre des ouvrages importants à la démonstration empirique de l’existence d’un tel inconscient primordial, qu’il appelle inconscient collectif.

« Au-delà, nous rencontrons aussi dans l’inconscient des propriétés qui n’ont pas été acquises individuellement ; elles ont été héritées, ainsi les instincts, ainsi les impulsions pour exécuter les actions commandées par une nécessité, mais non par une motivation consciente… (C’est dans cette couche « plus profonde » de la psyché que nous rencontrons aussi les archétypes.)

Les instincts et les archétypes constituent ensemble l’inconscient collectif. Je l’appelle collectif parce que au contraire de l’inconscient personnel, il n’est pas le fait de contenus individuels plus ou moins uniques, ne se reproduisant pas, mais de contenus qui sont universels et qui apparaissent régulièrement. », L’énergétique psychique. C.G. Jung, page 99.

Cette intuition d’un inconscient collectif s’appuie sur l’expérience de Jung, décrite dans son autobiographie, Ma vie, dans laquelle il relate ses rêves d’enfance, peuplés de saisissantes images archétypiques et ne présentant, apparemment, aucun lien avec son vécu personnel. C’est lorsqu’il s’intéresse à l’histoire des religions, bien plus tard, qu’il retrouvera, stupéfait, les mêmes représentations archétypiques qui peuplaient, à l’époque, ses rêves d’enfance.

Archétypes et images archétypiques

Il précisera également la notion d’archétype, qui lui apparaît plus clairement dans le cadre de sa pratique en tant que médecin psychiatre au sein de l’hôpital psychiatrique de Zurich, le Burghölzli. Jung constate notamment, dans les idées délirantes des patients psychotiques décompensés, des symboles identiques à ceux que l’on peut observer dans les mythes religieux.

Un patient, atteint de schizophrénie, prétendait par exemple, voir «  un manchon dans le soleil qui engendre le vent  ». Image que Jung retrouvera, identique, dans un ouvrage publié par l’historien des religions Albrecht Dieterich, au sujet de la liturgie du culte de Mithra et dont la publication, récente à l’époque, eût exclu toute possibilité pour le malade d’en avoir pris connaissance.

Pour Jung,

« La notion d’archétypes dérive de l’observation, souvent répétée, que les mythes, les contes de la littérature universelle, renferment des thèmes bien définis qui reparaissent partout et toujours. Nous rencontrons ces mêmes thèmes dans les fantaisies, les rêves, les idées délirantes, les illusions des individus qui vivent aujourd’hui. Ce sont ces images et ces correspondances typiques que j’appelle représentations archétypiques. » Ma vie, C.G. Jung, page 625.

Les archétypes sont des foyers relativement identifiables qui peuplent l’inconscient collectif. Sur ce point, il est important d’effectuer une distinction entre les notions d’« archétype » et d’« image archétypique ».

Voici ce que Jung nous en dit :

« L’archétype est en lui-même un élément vide, formel, qui n’est rien d’autre qu’une facultas praeformandi, une possibilité donnée a priori de la forme de représentation. Ce qui est transmis par hérédité, ce ne sont pas les représentations, mais les formes, qui , à cet égard, correspondent rigoureusement aux instincts également déterminés de façon formelle. » Les racines de la conscience, C.G. Jung, page 111

Il ajoute :

« Les archétypes invisibles apparaissent dans le domaine conscient-inconscient sous forme d’images ou d’idées archétypiques. Ce sont des images mythologiques, symboliques, appartenant à une collectivité, un peuple ou une époque ». C.G. Jung, Son mythe en notre temps, M.L. von Franz, page 145

« L’archétype représente essentiellement un contenu inconscient modifié en devenant conscient et perçu, et cela dans le sens de la conscience individuelle où il émerge. ». Les racines de la conscience, C.G. Jung, page 26.

Réseaux sociaux : une manifestations de l’inconscient collectif ?

C’est à travers ce prisme que les réseaux sociaux pourraient être vus comme des plateformes virtuelles, où les manifestations de cet inconscient collectif et ses représentations archétypiques modernes sont particulièrement visibles.

En utilisant les réseaux sociaux, les individus partagent non seulement leurs propres expériences et idées, mais aussi absorbent celles des autres, formant ainsi un mélange inextricable de pensées, de sentiments et de comportements.

Ainsi, les interactions sur les réseaux sociaux peuvent activer des archétypes profonds qui se manifestent de différentes manières. Ils s’expriment à travers les images, les mèmes, les vidéos virales, ou même les tendances linguistiques.

Les tonalités affectives vives des archétypes

Dans Les racines de la conscience, Jung attire notre attention sur ce qu’il appelle «  les tonalités affectives vives des archétypes  ». De quoi s’agit-il  ?

Lorsqu’un archétype est chargé d’une puissance affective, il domine, il subjugue, il possède la personne à laquelle il s’adresse.

Nous en avons une illustration pertinente dans les réseaux sociaux. Lorsqu’une communauté se forme, dans la communion autour d’une idée, vers un idéal, un principe incarné par l’être humain ou l’intelligence artificielle qui fédère cette communauté, les « followers » projettent sur cette entité et sur l’archétype qu’il représente toute la charge émotive, la puissance affective dont elle est capable. Et l’archétype, en retour, se trouve impacté et chargé d’une puissance impressionnante.

C’est ainsi que la réunion humaine virtuelle perd sa conscience, perd son contrôle d’elle-même et est entrainée vers les tragédies les plus épouvantables.

Il est intéressant de voir, à partir des exemples ci-dessous, comment ces dynamiques peuvent avoir un impact réel sur la vie des individus.

Shaïna : le bouc émissaire et le miroir

Shaïna est victime de cyberharcèlement sur le réseau social de discussions éphémères qu’elle utilise avec ses camarades. 

Elle subit la diffusion de rumeurs à son égard, reçoit des messages malveillants et est victime de «  body shaming  »  : des commentaires désobligeants sur son poids et la forme de son nez, à un âge où le corps se transforme. À l’école, Shaïna devient de plus en plus réservée et distante. Elle évite les interactions sociales avec ses camarades de classe, trouvant différents prétextes pour aller à l’infirmerie plutôt qu’en cours de récréation.

Ses résultats scolaires commencent à en souffrir, car elle a du mal à se concentrer. Ses parents remarquent un changement significatif dans son comportement et tentent de lui parler de ce qui se passe en ligne. Cependant, Shaïna refuse catégoriquement de discuter de la situation, craignant d’être jugée et ridiculisée encore davantage.

Ses parents me l’adressent car leur fille est devenue si triste qu’elle ne sort plus, mange peu, et que ses activités tournent quasi exclusivement autour de la prise incessante de selfies pour trouver son meilleur profil.

C’est en évoquant son groupe de musique préféré qu’elle m’explique comment «  tout a commencé ». Passionnée de danse et de musique hip hop, elle adore suivre les dernières tendances dans ces domaines et partager ses performances et ses chorégraphies avec ses amis sur les réseaux sociaux.

Un jour, Shaïna découvre un groupe de discussion en ligne, sur une application de messagerie éphémère populaire utilisée par des élèves de sa classe. Elle est enthousiaste à l’idée de pouvoir discuter de ses passions pour la danse et la musique avec d’autres camarades partageant les mêmes intérêts.

Cependant, son enthousiasme est rapidement entaché par l’anxiété et la peur, lorsqu’elle commence à recevoir des messages haineux et à remarquer que des rumeurs désobligeantes courent à son sujet. Les autres membres du groupe se moquent de ses performances de danse, extrêmement créatives et originales pour les avoir vues, et remettent en question ses goûts musicaux, dénigrant son talent jusqu’à railler son physique.

Ces commentaires désobligeants affectent profondément Shaïna : ils remettent en question sa passion pour la danse et la musique, son estime de soi est sapée, à un âge où elle se forge sa propre identité et commence à explorer sa place dans le monde qui l’entoure. Elle se sent jugée et critiquée pour ce qui fait sa joie et son identité. Chaque notification sur son téléphone devient une source de terreur, et elle commence à s’exclure du groupe de discussion, craignant de nouvelles attaques.

A travers cette vignette clinique, nous distinguons l’archétype du bouc émissaire. Les caractéristiques spécifiques des réseaux sociaux, telles que l’anonymat, la facilité de propagation de l’information, l’effet de groupe et la distance émotionnelle, peuvent contribuer à intensifier les dynamiques du bouc émissaire en ligne.

Shaïna représente les aspects refoulés, indésirables ou dérangeants de la psyché collective du groupe auquel elle appartient. Les membres de sa communauté semblent avoir projeté sur Shaïna, en tant que bouc émissaire, leurs propres angoisses, frustrations et conflits non résolus, lui attribuant ainsi une importance symbolique démesurée.

Une étape très importante de la psychothérapie de Shaïna a été de comprendre et d’intégrer que ce n’est pas elle en tant que personne qui est visée, mais ce qu’elle représente. Car elle est capable de vivre et surtout d’assumer sa créativité, expression de son monde intérieur si riche et unique, en la portant aux yeux du monde.

Le travail s’axe ensuite sur l’acte de prendre des selfies, qui peut être considéré comme une forme de regard dans le miroir. Miroir dans lequel Shaïna se regarde et se représente elle-même à travers l’objectif de son smartphone.

Dans la psychologie analytique de Carl Gustav Jung, cela peut être associé à l’archétype du miroir, qui représente la réflexion et la conscience de soi. Le miroir est souvent utilisé pour explorer la relation entre le conscient et l’inconscient, ainsi que pour illustrer le processus d’individuation.

Les selfies, nouvelle représentation de l’archétype du miroir, symbolisent la capacité de Shaïna à se confronter à son image, mais aussi à ses propres projections et interprétations. Il s’agit pour elle de se voir objectivement, sans filtre. Et de reconnaître et d’accepter les différentes parties d’elle-même, y compris les aspects refoulés de l’inconscient. Si tant est qu’elle puisse être aidée et soutenue dans ce mouvement.

« Qui regarde le miroir de l’eau aperçoit, il est vrai, tout d’abord sa propre image. Qui va vers soi-même risque de se rencontrer soi-même. Le miroir ne flatte pas, il montre fidèlement ce qui regarde en lui, à savoir le visage que nous ne montrons jamais au monde, parce que nous le dissimulons à l’aide de la persona, du masque du comédien. Le miroir lui, se trouve derrière le masque et dévoile le vrai visage. C’est la première épreuve du courage sur le chemin intérieur, épreuve qui suffit pour effaroucher la plupart, car la rencontre avec soi-même est de ces choses désagréables auxquelles on se soustrait tant que l’on a la possibilité de projeter sur l’entourage tout ce qui est négatif. ». Les racines de la conscience, C.G. Jung, page 45

Ainsi, en élaborant et en se racontant à travers ce qu’elle voit, perçoit et ressent d’elle-même sur ces images et vidéo, Shaïna s’affirme. Un travail dans la profondeur l’amène à une confrontation avec elle-même, dans un cadre contenant, il a pu donner à Shaïna l’opportunité d’une croissance personnelle. Aujourd’hui, elle revendique « cette mocheté de nez qui fait son charme  », car elle soutient maintenant que «  ça va vachement bien avec qui elle est  ». Comme le dit, d’ailleurs, sa meilleure amie  !

Expériences individuelles et collectives : une interrelation dynamique

Les archétypes entretiennent une interrelation dynamique entre les expériences individuelles et celles collectives. Les archétypes individuels sont influencés par les archétypes collectifs présents dans la culture et la société, tandis que les archétypes collectifs émergent des expériences et des interactions individuelles au sein de la société. Cette interconnexion entre le niveau individuel et le niveau collectif contribue à façonner la compréhension de soi et de la société dans son ensemble.

Dans le phénomène socioculturel actuel que représentent les réseaux sociaux, les archétypes, tels que le Héros, la Grande Mère, l’Enfant Intérieur, l’Ombre, le Sage, le Voyageur, le Guerrier etc… se donnent à voir en tant que motifs symboliques universels présents dans l’inconscient collectif. Ils se manifestent sur les réseaux sociaux, à travers les contenus partagés, les interactions et les dynamiques sociales, influençant ainsi la construction de l’identité numérique et les schémas comportementaux en ligne.

Prenons, pour exemple, l’archétype du Héros, que l’on retrouve dans les récits de réussite diffusés sur les réseaux sociaux. Les individus mettent en avant leurs accomplissements, leurs défis surmontés, leurs actes de courage, ils s’y présentent comme des héros de leur propre histoire, cherchant à inspirer les autres par leurs réalisations. Ces publications peuvent motiver d’autres utilisateurs, créant ainsi un cycle de valorisation et de célébration des réalisations personnelles.

Cependant, en fonction de la structuration psychique individuelle, on peut observer chez certaines personnes une identification excessive à l’archétype, entrainant des réactions disproportionnées, des compulsions à répéter des schémas comportementaux, des projections sur les autres et une perception déformée de la réalité. La possession par l’archétype du héros peut se traduire par une tendance à la compétition excessive, à l’auto-promotion et à la recherche constante de validation externe.

Fabien : un cas de possession par l’archétype

C’est le cas pour Fabien. Etudiant en STAPS (Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives), il vient au cabinet pour améliorer ses performances sportives grâce à la sophrologie. Fidèle follower d’un célèbre athlète de musculation sur une plateforme de partage de vidéos en ligne, Fabien a monté sa chaîne sur le modèle de celle de son idole.

Il est obnubilé par ses objectifs de prouesses sportives, qu’il souhaite filmer pour les mettre en ligne, afin d’augmenter le nombre de ses abonnés.

Fabien est obsédé par son image, il se compare de manière incessante avec les autres membres de sa communauté, de laquelle il doit, comme il le dit, rester le leader. Il se met une pression intense pour maintenir une façade de succès croissant.

Lors de sa première séance, après l’avoir écouté se dire, je demande à Fabien quelles sont les motivations profondes qui sous-tendent son obsession pour les prouesses sportives et son besoin de notoriété. Je l’invite aussi à réfléchir à ce qui le pousse à poursuivre de tels objectifs ainsi que sur les conséquences de toutes ses actions dans sa vie réelle. En s’entendant répondre, Fabien pleure. Il me dit négliger la partie théorique de ses études ainsi que son cercle d’amis réel. Il évoque également un sentiment d’insécurité qu’il ressentait déjà, enfant. Il fait le lien avec l’impact des likes et des commentaires reçus après la mise en ligne de ses vidéos.

Touché dans sa profondeur, Fabien prend conscience qu’avant d’utiliser la sophrologie en tant qu’outil de sa course effrénée à la réussite, un «  entrainement au développement de la connaissance de son psychisme  », selon ses mots, lui est nécessaire.

Il s’est agi d’aider Fabien à identifier les archétypes activés dans sa relation avec les réseaux sociaux pour qu’il se libère progressivement de leur possession.

Le Guerrier, par exemple, en cherchant à être admiré et reconnu en ligne, a joué un rôle dans sa quête de succès. L’archétype de l’ombre a été exploré, en encourageant Fabien à reconnaître et à accepter les aspects de lui-même qu’il avait préféré éviter et refouler. Notamment ses vulnérabilités, qu’il confond avec de la faiblesse, ainsi que ses doutes et ses imperfections, dont l’intégration lui ont rendu toute son humanité.

Cela le soutient dans le mouvement d’unification de sa personnalité de manière plus équilibrée. Ce qui lui permettra de réduire sa dépendance à l’égard de la validation externe, jusqu’ici exacerbée par les interactions qu’il entretient sur les réseaux sociaux.

Un travail est en cours sur les complexes activés par l’image qu’il véhicule en ligne. Fabien explore son complexe de supériorité, qu’il cultive en cherchant à cumuler des followers pour se sentir important. Il analyse également son pendant, le complexe d’infériorité, qu’il nourrit en se comparant constamment aux autres utilisateurs en ligne plus célèbres.

Fabien est renvoyé à ses projections : je l’encourage à réfléchir à la manière dont il perçoit et interprète les réactions des autres sur les réseaux sociaux et dans sa vie, et à voir si cela reflète des aspects de lui-même qu’il pourrait ne pas reconnaître consciemment.

Meryll : entre identification et perte d’identité

Ainsi, au sein des réseaux sociaux, les individus peuvent être incités à mettre en avant une image idéalisée d’eux-mêmes pour obtenir l’approbation sociale.

Ce qui tend à les entraîner vers une perte de contact avec leur nature profonde et leurs besoins émotionnels réels, conduisant à un sentiment de vide ou de désespoir.

C’est ce sentiment de vacuité lié à une grande tristesse intérieure qui étreint Meryll lorsque je la reçois.

Meryll est une jeune femme brillante qui vient d’entrer dans une grande entreprise à un poste élevé pour son âge. Elle est responsable dans un domaine d’expertise scientifique et a été recrutée en partie pour son niveau d’études, mais essentiellement grâce à sa notoriété au sein d’un réseau social professionnel sur lequel elle est massivement suivie. Epuisée et au bord du burn out, son médecin lui a conseillé de faire de la sophrologie…

Elle arrive au cabinet avec des cernes marquées, démoralisée. Meryll souffre d’être exposée à une surcharge d’informations et de stimuli. Elle est tout le temps sur le pont et à l’affut pour entretenir sa communauté virtuelle, de laquelle elle reçoit moultes notifications et alertes, tout en encadrant une équipe de huit personnes au sein de son entreprise. Ce qui s’avère être épuisant pour une personne de type introverti, et de grande sensibilité.

S’écoutant relater son histoire de vie, la conscience de Meryll s’ouvre. Le positionnement qu’elle occupe aujourd’hui socialement découle de celui dans lequel elle a été placée lors du divorce de ses parents. Enfant sauveur, Meryll s’est trouvée à assumer des responsabilités émotionnelles et relationnelles qui ne correspondait pas à ses besoins. Cela a entraîné chez elle une pression constante pour prendre en compte le bien être des siens. Elle s’est sentie obligée de prendre soin de ses parents, de tenter de résoudre leurs problèmes et de les conseiller.

Il en est ainsi aujourd’hui de sa communauté virtuelle. Contrainte de grandir trop vite et de s’adapter à des attentes parentales inadaptées à son stade de développement, elle a ressenti très tôt une forme de pression pour performer.

Meryll rapporte au bout de quelques mois un rêve, qui éclaire le positionnement qu’elle s’est donné en société. Lors d’une séance d’amplification des images de ce rêve en état de conscience modifiée, elle comprend que ses choix de vie l’ont conduit à se laisser posséder par l’archétype du Sage.

Elle se reconnaît dans ce motif de la communauté qu’elle anime  : au départ elle partageait ses connaissances avec ses pairs, au sein d’un groupe d’étude, en ligne. Valorisée par le succès qu’elle obtient, le groupe s’est ouvert au public. De nombreux utilisateurs l’ont rejoint pour obtenir des informations et des conseils dans son domaine.

Petit à petit, ses proches l’ont vu changer. En plus des symptômes physiques, Meryll cède à l’arrogance intellectuelle. Et elle admet avoir manipulé des informations confidentielles au travail pour avoir la primeur de la diffusion en ligne.

En acceptant la confrontation de ses complexes émergeant petit à petit, elle a commencé à les intégrer dans sa conscience et à les traiter de manière constructive à l’intérieur d’elle-même, cessant de rejouer ce motif à l’extérieur, dans ses relations virtuelles et au travail.

En étant moins rigide avec elle-même, la possibilité du travail de l’ombre a permis à Meryll de se dégager de la possession par cet archétype. Le sentiment de déconnexion d’avec sa profondeur reste à travailler.

En effet, les conditions de la construction identitaire de Meryll ont occasionné très tôt une nécessité pour elle de performer académiquement et socialement à un niveau supérieur à la normale, au détriment de ses aspirations profondes. Prise au piège, son processus d’individuation s’en est trouvé figé. Cette fixation a été entretenue par une dépendance excessive à l’approbation sociale et à l’idée de bien faire, de faire mieux.

Le travail consiste à présent à la soutenir vers le développement de sa propre identité et vers une prise de conscience de ses motivations réelles lorsqu’elle utilise ce réseau social, afin de maintenir un équilibre sain entre l’expression de soi et l’influence du collectif virtuel.

Ainsi, nous comprenons que les réseaux sociaux agissent comme des miroirs numériques. Ils reflètent nos désirs, nos inquiétudes et nos fantasmes, tout en catalysant et en amplifiant les manifestations de l’inconscient collectif à travers les interactions en ligne.

Shaïna, Fabien et Meryll représentent chacun une facette de cette interrelation entre l’individuel et le collectif. Ce regard posé sur les réseaux sociaux révèle les dynamiques complexes sous jacentes, liées aux archétypes et aux expériences individuelles et collectives.

La psychologie des profondeurs de Jung est incroyablement actuelle et d’une richesse remarquable si l’on veut comprendre ces phénomènes. Elle offre non seulement un cadre théorique pour saisir les dynamiques psychologiques à l’œuvre, mais aussi des outils pratiques pour accompagner les jeunes dans l’exploration de soi et dans la construction d’une identité authentique et équilibrée. Qu’elle soit réelle ou numérique.

En fin de compte, cette approche nous invite à réfléchir à notre propre utilisation des réseaux sociaux et sur l’impact profond qu’ils peuvent avoir sur notre psyché individuelle et notre société dans son ensemble.

Mars 2024

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Rachel Huber

Rachel Huber est praticienne en psychothérapies, sophrologue, enseignante, formatrice et assure des supervisions. Son cabinet se trouve dans le Sud-Est de la France.

Très attachée à la psychologie jungienne, s’appuyant sur des textes fondateurs, elle démontre comment celle-ci apporte un éclairage autour des questionnements liés à nos modes de vie actuels.

Pour en savoir plus, voir son site internet Cabinet Sophro-Psy

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