Cet article propose de situer la place de la psychologie analytique parmi les disciplines qui interrogent les symboles : symbolisme, sémiotique, iconologie et symbologie. Nourrie de leurs apports mais distincte d’elles, elle se singularise par sa finalité clinique et téléologique, illustrée par des exemples concrets. Rachel Huber
Sur cette page :
- La quête de sens et la maison des images
- Cartographier les disciplines du symbole
- Le point de vue jungien : le symbole comme force vivante
- Dialogue entre sémiotique et psychologie analytique
- Dialogue entre iconologie et psychologie analytique
- Dialogue entre symbologie comparée et psychologie analytique
- Une herméneutique clinique du symbole
- Repères terminologiques
La quête de sens et la maison des images
Je suis le témoin d’une quête simple et immense. Chaque jour, des femmes et des hommes franchissent le seuil du cabinet avec des questions allant bien au-delà du simple diagnostic. Ils apportent des bribes d’histoires, des silences lourds, des rêves insistants qui continuent de parler quand le jour s’est levé… Mon travail consiste à aider à écouter le langage de l’âme, pour le dire toujours ainsi en 2025, qui cherche à se dire. Ce langage se présente le plus souvent sous la forme d’images, de sensations, d’affects, en un mot : de symboles.
Or, l’étude des symboles n’appartient pas en propre à la psychologie. Elle est à un carrefour où se croisent de multiples chemins. La sémiotique propose une grammaire rigoureuse des signes. L’iconologie offre une méthode éprouvée pour l’interprétation des images artistiques. La symbologie comparative rassemble des répertoires immenses et met en évidence des constantes anthropologiques.
Face à ce concert de savoirs, comment la psychologie analytique se situe-t-elle ? Est-elle une approche parmi d’autres, une simple application clinique de principes plus vastes, ou propose-t-elle un point de vue radicalement différent sur la nature et la fonction du symbole ?
Il me semble que la psychologie analytique est une clairière au cœur de cette forêt de disciplines. Elle les convoque pour éclairer le chemin, puis elle les reconduit avec gratitude vers une source plus intime, celle de l’expérience vécue. Dans sa perspective, le symbole n’est plus un objet d’étude inerte, un spécimen à classer ou un code à déchiffrer: il devient un sujet vivant, une force qui respire, une énergie qui oriente, un opérateur de transformation psychique. Il existe des méthodes pour faire droit à cette vitalité. Elles demandent de la rigueur intellectuelle. Elles exigent aussi, et peut-être surtout, une forme d’hospitalité du cœur.
Cartographier les disciplines du symbole
Avant de situer la perspective jungienne, délimitons les territoires des disciplines voisines avec lesquelles elle entretient un dialogue constant, fait d’emprunts et de critiques.
Le symbolisme : entre inventaire des contenus et mouvement littéraire
Le terme « symbolisme » est polysémique. Au sens le plus courant et descriptif, il désigne l’ensemble des significations attachées à un motif particulier. On parlera ainsi du symbolisme de l’eau, du feu ou de la montagne. Dans ce cadre, le travail s’apparente à la compilation d’un répertoire de significations culturelles. Le mot désigne également un mouvement artistique et littéraire de la fin du dix-neuvième siècle qui, en réaction au naturalisme, cherchait à « vêtir l’Idée d’une forme sensible » (Moréas J., Manifeste littéraire,1886).
En contexte académique, l’œuvre de Gaston Bachelard a profondément renouvelé l’approche des contenus symboliques. Dans des ouvrages comme La psychanalyse du feu (1938) ou L’eau et les rêves (1942), il explore l’imaginaire matériel des éléments. Bachelard y montre comment l’eau devient un réservoir inépuisable de résonances, de la pureté à la dissolution ; comment le feu invente des images de purification et de ferveur ou comment l’air et la terre configurent des régimes poétiques distincts.
Cette approche phénoménologique de l’imagination est précieuse pour la pratique de l’amplification jungienne. Elle devient cependant stérile si elle conduit à figer un symbole dans une équivalence définitive, oubliant que sa fonction première est de mouvoir la psyché et non de la définir.
La sémiologie : science des signes et des systèmes
La sémiologie désigne la science générale des signes. La sémiotique visuelle en est la branche appliquée aux images, logos, pictogrammes, photographies et films. Ce champ se déploie à partir de deux matrices fondatrices, la tradition saussurienne et la tradition peircienne.
Dans la tradition européenne, Ferdinand de Saussure postule que le signe linguistique se compose d’un signifiant (l’image acoustique) et d’un signifié (le concept). Le lien qui les unit est fondamentalement arbitraire et leur valeur se définit par les différences qui les opposent aux autres signes au sein du système de la langue. La sémiotique saussurienne est donc dyadique et différentielle.
Aux États-Unis, Charles Sanders Peirce développe une théorie triadique et pragmatique. Le signe, ou « representamen », est « quelque chose qui tient lieu pour quelqu’un de quelque chose sous quelque rapport ou à quelque titre » (Peirce, C. S., Écrits sur le signe, 1978). Il met en jeu une triade : le signe lui-même, l’objet auquel il renvoie, et l’interprétant (l’effet cognitif produit). Peirce distingue trois types de signes selon la nature de leur relation à l’objet : l’icône (ressemblance), l’indice (contiguïté physique, comme la fumée pour le feu) et le symbole, qui pour lui repose sur une convention ou une loi.
La sémiotique éclaire avec une puissance admirable les règles de formation du sens dans les langues, les images, les rituels et les médias. Sa force est de fournir une grammaire commune pour analyser les codes.
Sa limite, du point de vue jungien, est de rabattre le symbole sur un simple élément de code. Or, le symbole vivant, tel que l’entend C. G. Jung, déborde toute équivalence fixe. Il n’est pas arbitraire mais chargé d’une nécessité intérieure. Il n’est pas seulement conventionnel mais porteur d’une énergie numineuse.
Iconographie et iconologie : voir, nommer, interpréter
Développées pour l’histoire de l’art, ces deux approches sont indissociables du travail d’Erwin Panofsky. L’iconographie est l’étape descriptive qui identifie les sujets, les motifs et les attributs d’une image en se référant aux sources littéraires et culturelles. L’iconologie, quant à elle, vise à en déployer la signification profonde, le « contenu ». Panofsky dans Études d’iconologie : Thèmes humanistes dans l’art de la Renaissance (1939), distingue trois niveaux d’interprétation :
- La description pré-iconographique, qui identifie les formes pures (objets, événements) en tant que motifs primaires.
- L’analyse iconographique, qui connecte ces motifs à des thèmes ou concepts conventionnels. Par exemple, identifier une figure tenant une roue comme étant Sainte Catherine.
- La synthèse iconologique, qui cherche la signification intrinsèque ou le contenu, en mettant en rapport l’œuvre, sa culture d’origine et la vision du monde de l’artiste, révélant ainsi les « principes de base qui révèlent l’attitude fondamentale d’une nation, d’une période, d’une classe, d’une conviction religieuse ou philosophique » (Panofsky, op. cit).
Cette méthode constitue un aiguiseur de regard extraordinaire. Elle rejoint la psychologie analytique dans son attention rigoureuse aux strates de sens et dans son refus de la projection hâtive. Elle s’en distingue cependant par son centre de gravité. L’iconologie demeure une herméneutique des œuvres culturelles externes. La psychologie analytique accompagne des images qui surgissent au plus intime de la psyché (rêves, visions, dessins et écriture spontanés) et dont la finalité est moins esthétique que vitale. L’amplification par l’histoire de l’art devient alors un moyen de faire résonner une image personnelle dans un contexte universel.
La symbologie : comparer sans figer
La symbologie, au sens large, regroupe les approches comparatistes qui répertorient et analysent les motifs symboliques à travers les religions, les mythes, les contes et les rituels. Mircea Eliade a cartographié les structures du sacré, montrant comment des hiérophanies (manifestations du sacré) organisent l’espace (axis mundi) et le temps (Eliade M., Le Sacré et le Profane, 1957).
Gilbert Durand, dans Les structures anthropologiques de l’imaginaire (1960), a proposé une classification des images en deux grands régimes, le diurne : associé à la verticalité, à la lumière, aux symboles héroïques et le nocturne : associé à la descente, à l’intimité, aux symboles de fusion.
De son côté, Georges Dumézil a mis en lumière la structure trifonctionnelle : souveraineté, guerre, production, qui organise les panthéons et les mythes indo-européens (Dumézil G., L’Idéologie tripartite des Indo-Européens, 1958). Ces travaux monumentaux aident à repérer des constantes anthropologiques et à naviguer dans d’immenses bibliothèques d’images. Le risque principal est la fixation du sens en dictionnaire, où le serpent « signifie » la régénération ou la tour, l’orgueil.
La psychologie analytique se sert de ces répertoires comme on se sert d’un chœur pour soutenir la voix d’un soliste. Le chœur offre une profondeur et une universalité, mais il ne doit jamais recouvrir la mélodie unique et la vibration singulière de la voix.
Le point de vue jungien : le symbole comme force vivante
La psychologie analytique emprunte à ces disciplines mais opère un déplacement décisif. Le symbole n’y est pas un objet à interpréter, mais un processus à vivre. Sa nature n’est pas sémiotique mais énergétique et téléologique.
Définition opératoire : au-delà du signe
En psychologie jungienne, il est précieux de revenir à l’origine grecque du terme. Le « symbolon » désignait un signe de reconnaissance entre deux hôtes : un objet était partagé en deux, chacun emportait sa moitié et la transmettait à ses descendants. Le jour où ces fragments pouvaient être réunis, ils devenaient preuve de filiation et permettaient de renouer l’alliance des familles. Il est également éclairant de considérer le mot allemand « Sinnbild ». Il se compose de deux termes : « Sinn », qui renvoie au sens, à la pensée consciente, et « Bild », qui signifie l’image. Le symbole apparaît ainsi comme une “image de sens”, une pensée matérialisée.
Qu’il s’agisse de son origine grecque ou de ce terme allemand, le symbole suppose toujours une polarité : une partie est connue et maîtrisée, l’autre demeure voilée, mystérieuse, mais elle complète nécessairement la première. Le symbole est donc la figure d’une totalité scindée, qui ne peut se révéler qu’en rapprochant ce qui est séparé.
C’est pourquoi, dans la perspective jungienne, un symbole est la meilleure expression possible, à un moment donné, d’un contenu psychique encore largement inconscient. Il se distingue radicalement du signe et de l’allégorie. Jung l’écrit avec une clarté définitive dans Types psychologiques
« Le symbole n’est pas une allégorie et n’est pas un simple signe ; il est l’expression d’un contenu important, mais difficile à saisir dans sa totalité par la conscience. […] Un signe est un abrégé conventionnel de la chose qu’il représente ; un symbole est l’expression la meilleure possible et la plus caractéristique d’un objet psychique complexe, à la nature encore en grande partie inconsciente » (C. G. Jung, 1921/1997, § 815-817).
Avec Liliane Frey-Rohn, une proche collaboratrice de Jung, entrons plus précisément dans cette définition :
« Pour Jung, il [le symbole] ne vise ni un objet concret, ni un objet sexuel, c’est-à-dire génital. Il ne s’est jamais borné à une explication concrète et matérielle du symbole. Cela équivaudrait, d’après lui, à une réduction de la valeur humaine à celle d’une pure instinctivité.
Ce qui lui semble être d’une valeur primordiale dans la notion du symbole, c’est sa capacité à transcender les opposés, de les compléter par les images de la totalité psychique de l’individu. Le symbole contribue à unifier la nature et l’esprit ainsi que la lumière et les ténèbres. Le symbole est pour Jung un paradoxe, une notion tierce qui est supérieure au conflit entre le oui et le non dans l’esprit de l’individu. » (Frey-Rohn, From Freud to Jung, 1974 in Jung ou la totalité de l’Homme futur Les symboles et archétypes 5/8).
Le signe renvoie à un connu : le feu rouge signifie l’arrêt. L’allégorie traduit une idée déjà consciente en image : la paix figurée par une branche d’olivier. Le symbole, lui, ouvre sur un excédent de sens. Il ne se laisse pas épuiser par une paraphrase ou une traduction conceptuelle. Il travaille la psyché, il la met en mouvement, il transforme le niveau de conscience. La question féconde n’est donc pas « Que signifie ce symbole ? » mais « Que produit-il ici et maintenant, dans cette vie et dans ce corps ? ».
La fonction transcendante : inventer un troisième terme
La fonction transcendante est la capacité naturelle de la psyché à élaborer un troisième terme à partir d’une tension entre des opposés. Le conscient et l’inconscient, la veille et le rêve, la sécurité et la liberté, l’intériorité et le monde, la fidélité et la nouveauté. La vie psychique est tissée de telles polarités. Lorsque la tension devient insupportable, le symbole opère cette médiation. Il ne supprime pas la tension, il la maintient, tout en inventant un passage, un pont.
Comme l’écrit C. G. Jung, la fonction transcendante
« se manifeste comme une capacité de réunir les opposés » (C. G. Jung, La dynamique de l’inconscient, § 189).
Cette fonction n’a rien de mystique au sens flou du terme. Elle désigne une dynamique d’autorégulation et de croissance, observable en clinique chaque fois qu’une image, un rêve ou un acte créatif aide à traverser une impasse existentielle.
Archétypes et images archétypiques
Les symboles personnels qui émergent dans les rêves ou l’imagination d’un individu résonnent avec des structures universelles de l’imagination humaine, que C. G. Jung nomme archétypes. Il est nécessaire de distinguer l’archétype en soi de l’image archétypique. L’archétype en soi est un schème structurant, une potentialité a priori, non représentable, appartenant à l’inconscient collectif. Il s’apparente à un « patron de comportement » psychique. L’image archétypique, quant à elle, est sa manifestation concrète et variable dans une culture, un mythe ou un rêve. La Grande Mère, l’Enfant divin, l’Ombre, l’Anima et l’Animus, le Vieux Sage, le Fripon divin : ce sont autant de matrices de figuration que l’on retrouve universellement.
L’archétype ne remplace jamais le vécu singulier d’une personne ; il lui offre une forme de reconnaissance, une parenté, un horizon qui la dégage de l’isolement pathologique.
Mais si un symbole peut toucher un individu en profondeur, c’est parce qu’il résonne aussi avec quelque chose de plus vaste : un fonds partagé par un groupe humain. Car pour vivre, le symbole ne peut se limiter à une expérience privée : il doit pouvoir s’adresser à la fois à la singularité d’un sujet et à l’universalité d’une communauté, ne serait-ce que pour pouvoir le faire entrer en résonnance. Aussi, il faut qu’il puisse saisir ce qu’il peut y avoir de commun dans ce groupe. Par son côté divinatoire, par sa signification cachée, le symbole fait vibrer la pensée autant que le sentiment. Sa singulière plasticité le revêt de formes sensoriellement perceptibles qui excitent la sensation autant que l’intuition.
Ainsi, le symbole vit de cette double appartenance : il touche l’intime d’un sujet tout en parlant le langage partagé de l’humanité. C’est précisément ce pouvoir de résonance, individuel et collectif à la fois, qui a conduit Jung vers l’alchimie : un champ où les images anciennes, nées de la matière et du feu, deviennent les miroirs d’une transformation intérieure universelle.
L’alchimie et la coniunctio oppositorum
Dans sa recherche d’un langage historique pour décrire le processus d’individuation, C. G. Jung a trouvé dans l’alchimie occidentale un laboratoire imaginal d’une richesse incomparable. Selon les nomenclatures historiques, la liste des opérations varient, mais voici un faisceau représentatif des principales opérations alchimiques :
Calcinatio (Calcination) : Réduction de la matière en cendres par le feu. Solutio (Dissolution) : Dissolution des cendres dans l’eau.
Separatio (Séparation) : Séparation des éléments dissous.
Coniunctio (Conjonction) : Réunion des éléments séparés.
qui deviennent autant de figures pour dire les étapes de la transformation psychique.
Le cœur de ce Grand Œuvre est la conjonction des contraires, la coniunctio oppositorum. Elle nomme le moment où des opposés jugés irréconciliables (le masculin et le féminin, le spirituel et le matériel, le conscient et l’inconscient) trouvent une union supérieure dans une nouvelle synthèse symbolique. La psychologie analytique déchiffre dans ces images anciennes une cartographie précise et non dogmatique du travail intérieur vers la totalité : l’archétype du Soi.
L’imagination active : praxis du symbole
En clinique, l’imagination active est le lieu où le symbole cesse d’être une idée à comprendre pour devenir une expérience à vivre. Cette méthode, radicalement originale dans la perspective jungienne, invite le sujet à se concentrer sur ce qui surgit de son monde intérieur : une image de rêve, une humeur, puis à le laisser se déployer et à lui donner forme, par le dessin, l’écriture, le modelage ou la danse. Vient ensuite le temps d’entrer en relation avec les figures qui apparaissent, de leur répondre et de dialoguer avec elles.
L’imagination active se distingue de la fantaisie passive par la participation éthique du Moi. Le sujet reste conscient, il contient l’expérience, il dialogue avec les figures de l’inconscient. Le symbole n’est pas seulement expliqué ; il est vécu, confronté et, dans le meilleur des cas, intégré, dans un acte qui engage la personne tout entière.
Entre l’intime et l’universel, le symbole ouvre déjà un champ multiple ; c’est dans la rencontre avec les autres disciplines que la voix propre de la psychologie analytique se laisse reconnaître.
Dialogue entre sémiotique et psychologie analytique
Convergences utiles et différence de finalité
La sémiotique apprend à reconnaître des systèmes de signification. Elle indique comment des signes s’agencent dans une langue, un rituel ou une image médiatique. En clinique, ces repères aident à situer l’image d’un consultant dans son milieu culturel, à comprendre les codes sociaux avec lesquels il interagit. Cependant, la finalité des deux approches diverge fondamentalement.
La sémiotique vise la compréhension d’un code et d’un système de signification. La psychologie analytique vise la transformation d’une existence. Là où la sémiotique s’attache à la signification (ce que ça veut dire dans le système), la psychologie analytique s’intéresse au sens (ce que ça produit dans une vie). Le symbole est une force qui oriente la vie vers sa propre totalité.
Écho clinique : le symptôme comme signe ou symbole
Ces distinctions risqueraient de demeurer abstraites si elles n’étaient pas éprouvées dans la réalité d’un parcours humain. C’est dans l’espace clinique que ces notions trouvent leur véritable portée, lorsqu’un symptôme, apparemment explicable, se révèle porteur d’une finalité psychique plus profonde.
Sophie, 37 ans, souffre d’insomnies récurrentes. On peut y voir, dans son histoire de vie, le signe d’un stress professionnel doublé d’un trouble anxieux. Cette lecture est juste, nécessaire, et elle appelle des réponses adaptées : techniques de gestion du stress, et, dans son cas précisément, un soutien médical afin qu’elle puisse également être opérante dans son travail de psychothérapie. Mais cette lecture ne suffit pas.
En psychothérapie analytique, l’insomnie peut être accueillie comme un symbole. Elle devient le langage d’une part négligée de la psyché. En dialoguant avec cette « insomnie », Sophie découvre Hector. Un veilleur intérieur, chargé d’une énergie créatrice ignorée, qui lui a posé une question existentielle qui demandait à être entendue : « Sophie, que fais-tu de ton désir ? »
Le signe informe et permet d’agir sur la cause ; le symbole transforme en révélant une finalité cachée.
Dialogue entre iconologie et psychologie analytique
Les trois niveaux de Panofsky et la quatrième dimension jungienne
La méthode panofskienne, avec ses trois niveaux : descriptif, iconographique, iconologique, offre une discipline du regard qui protège de l’interprétation sauvage. Elle met en relation les formes, les sources et une vision du monde. La psychologie analytique y ajoute une quatrième dimension essentielle : celle du vécu et de la prospective.
L’image intérieure résume une situation psychique totale et elle veut quelque chose du sujet. Elle l’oriente. La méthode jungienne part de l’image vécue (la phénoménologie de l’image), l’amplifie par des parallèles culturels (l’équivalent de l’iconographie et de l’iconologie), puis revient impérativement vers la vie pour soutenir un acte ajusté. L’iconologie cherche l’intelligibilité d’une œuvre passée, la psychologie analytique cherche la justesse d’un passage à venir.
Vignette brève : la voix qui naît
Ethan à dix-sept ans. Il est mutique. En famille, mais également dans sa bande de copains. Il dessine en séance un masque blanc sans bouche, le visage entouré par un fil noir qui vient se serrer autour de la gorge. La grille iconologique permet de convoquer l’histoire du masque théâtral, de la persona sociale à la dissimulation tragique. Un fait qu’il reconnait. Il n’est « jamais lui même ».
La méthode jungienne, elle, laisse l’image travailler l’adolescent dans le présent. Après quelques sophronisations dynamiques, des improvisations corporelles et vocales, inspirées par le dessin, font peu à peu apparaître, dans un nouvel ajout, une bouche rouge sur le masque. Et le fil noir devient un ruban dénoué. Une voix, d’abord hésitante, naît. Ethan hésite, puis il hurle… L’image a trouvé un acte. Elle n’a pas été expliquée, elle a été métabolisée par Ethan.
La place du corps
Le symbole est somatopsychique. Il teinte la respiration et la posture. Une clinique fine inclut des protocoles simples de présence corps esprit pour enraciner le sens qui éclot. Le corps devient le livre où l’image s’écrit avant le commentaire.
Dialogue entre symbologie comparée et psychologie analytique
Les ressources de la carte et le risque de la fixation
Eliade, Durand et les autres maîtres de la tradition comparatiste rendent visibles des constellations de sens qui traversent les cultures. Un serpent, un arbre cosmique, un centre, un chemin initiatique, des figures de la Mère Terrible ou du Senex : autant de motifs qui reviennent avec une insistance fascinante. Pour un psychopraticien, ces cartes sont des secours précieux. Elles nourrissent l’amplification. Elles offrent des analogies qui élargissent le sens d’un rêve et le sortent de son caractère purement anecdotique.
Cependant, dès que l’on plaque un dictionnaire sur une image vivante, on perd la sève. Le serpent ne signifie pas toujours la même chose. Dans un rêve, il peut figurer une menace mortelle, une énergie de guérison, une sagesse chtonienne ou une sexualité refoulée. L’essentiel se joue au point de rencontre entre une forme universelle, l’archétype et une histoire singulière.
La psychologie analytique n’utilise jamais la carte pour remplacer la traversée. Elle l’utilise pour éclairer et protéger le voyageur.
Écho clinique : Artémis dans une vie contemporaine
Bénédicte, 48 ans, élevée dans une norme sociale et familiale très stricte, rêve de la déesse Artémis chassant dans une forêt sombre. La symbologie classique nous informe sur Artémis : déesse de la lune, de la nature sauvage, protectrice des femmes, symbole d’indépendance farouche. Pour cette femme précise, Artémis devient une force explosive. Une énergie sauvage, autonome et peut-être même destructrice réclame une place dans sa vie trop bien ordonnée d’épouse au foyer.
Le symbole ici ne décrit pas une vertu abstraite. Il délivre, pour Bénédicte et à ce moment précis de son histoire de vie, une puissance qui exige un repositionnement existentiel. Dans son couple, Bénédicte ose poser une limite claire : un week-end par mois qu’elle consacre à elle seule, sans justification ni compromis. Ce geste, qui semblait impossible auparavant, ouvre une brèche dans son rôle assigné d’épouse dévouée et fait entrer une énergie nouvelle dans la relation.
Une herméneutique clinique du symbole
Nous voyons que la psychologie analytique se situe au croisement du symbolisme, de la sémiotique, de l’iconologie et de la symbologie, sans se confondre avec aucune de ces approches. Elle emprunte à la sémiotique son sens des structures et des systèmes. Elle se nourrit de la rigueur interprétative de l’iconologie. Elle convoque les vastes répertoires de la symbologie pour amplifier les résonances culturelles et archétypiques. Puis, invariablement, elle retourne au lieu où tout commence et où tout doit s’accomplir : une image qui surgit dans une existence concrète, en quête de sens et de devenir.
Son geste propre, son apport irréductible, est d’accompagner le symbole comme une force vivante et prospective. Au delà de la compréhension intellectuelle, elle vise la transformation. Elle soutient l’individuation, ce processus de toute une vie par lequel un être, en différenciant et en intégrant les diverses composantes de sa psyché, s’oriente vers une totalité plus juste et plus consciente, le Soi.
On pourrait nommer cette pratique une science du symbole vécu. La psychologie analytique, opère une synthèse et un dépassement : elle constitue une herméneutique clinique du symbole, finalisée par la transformation du sujet.
Nous voyons qu’elle n’abolit pas les disciplines voisines : les réunit autour de la table de l’expérience humaine. Ici, le symbole est respiration et appel. Il se lève comme une aurore au cœur des nuits intérieures, rappelant que la psyché ne cesse de chercher son unité.
Dans le travail psychothérapeutique, ces images nous apprennent à marcher entre visible et invisible, entre douleur et élan vital. Dans cet espace, l’âme découvre qu’elle peut se relier à ce qui l’excède et pourtant l’habite. Le symbole fait naître la possibilité, même fragile, d’un devenir plus entier.
Rachel Huber – Octobre 2025
- Symbole : Dans la perspective jungienne, la meilleure expression possible d’un contenu inconscient en voie d’intégration. Porteur d’un excédent de sens et d’un pouvoir transformateur.
- Signe : Unité d’un système de communication qui renvoie à un contenu connu par une relation codée ou conventionnelle.
- Archétype : Disposition structurante impersonnelle et universelle de l’inconscient collectif. Il se manifeste indirectement sous forme d’images archétypiques.
- Soi (Selbst) : Archétype de la totalité, à la fois centre et circonférence de la psyché. Principe d’orientation et de cohésion du processus d’individuation.
- Fonction transcendante : Processus naturel de la psyché qui fait émerger un troisième terme unificateur à partir de la tension d’une paire d’opposés.
- Amplification : Procédé herméneutique qui consiste à mettre en résonance une image intime (rêve, vision) avec des parallèles mythologiques, rituels, artistiques ou religieux pour en déployer le sens archétypique.
- Coniunctio oppositorum : L’union des contraires. Figure centrale de l’imaginaire alchimique, symbolisant l’intégration des polarités psychiques dans une unité supérieure.
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Rachel Huber
Rachel Huber est praticienne en psychothérapies, sophrologue, enseignante, formatrice et assure des supervisions. Son cabinet se trouve dans le Sud-Est de la France.
Très attachée à la psychologie jungienne, s’appuyant sur des textes fondateurs, elle démontre comment celle-ci apporte un éclairage autour des questionnements liés à nos modes de vie actuels.
Elle est membre Fédération Française de Psychothérapie et Psychanalyse (FF2P).
Elle fait partie de l’équipe éditoriale du site Espace Francophone Jungien.
Pour en savoir plus, voir son site internet Cabinet Sophro-Psy
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