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Ariane Callot

Ariaga
Ariane Callot est docteur en philosophie. Elle a soutenu en 2000 une thèse orientée sur Jung.

Sous le pseudo d’Ariaga elle est l’auteur du blog Extraits du Laboratoire d’Ariaga.

Sur le présent site elle publie des textes repris de sa thèse, des écrits sur Jung et des poésies.

La complexité du divin chez Jung et Nietzsche

L’idée que Jung se faisait de Dieu fut influencée par Nietzsche mais il suivit son propre chemin. Il propose entre la mort de Dieu et le Dieu figé des chrétiens une nouvelle voie : la relativité du divin.

 

Le dialogue Jung Nietzsche

Christine Maillard, au cours des chapitres de commentaires qui suivent sa traduction des Sept Sermons, effectue un travail très exhaustif sur la dimension religieuse des Sermons et leur rôle de prémisses d’une théologie.

En dehors du contexte religieux, et des expériences personnelles de l’enfance et de l’adolescence de Jung, elle met en évidence diverses sources d’inspiration. Citons la Bhagavad-Gîtâ, l’oeuvre de Maître Eckhart et Le pèlerin chérubinique d’Angélus Silesius.

Nous ne retiendrons que les allusions à Nietzsche qui sont un appui pour notre propos.

Le Dieu est mort, proclamé dans le Zarathoustra et Le Gai Savoir, fut certainement à l’origine d’un dialogue, dont nous pensons qu’il fut, tout d’abord relativement inconscient.  En effet,  la personnalité de Nietzsche faisait figure d’Ombre pour Jung.

Comme l’écrit Christine Maillard, au moment où elle commente la phrase du Sermon II, “Dieu n’est pas mort, il est aussi vivant que jamais. Dieu est créature, car il est quelque chose de défini et donc distinct du Plèrôme “ :

“Dans ces conditions, la première affirmation de Basilide au sujet de Dieu, posant qu’il est “Créature”, doit être entendue comme la réponse de Jung à la proclamation nietzschéenne. A la racine de ce que nous appelons la théologie jungienne se pose la question de la “mort de Dieu”, qui constitue le fondement, la condition de possibilité de cette théologie : Jung conçoit l’ensemble de son œuvre comme une parole adressée “à ceux pour qui Dieu est mort” et incompréhensible pour les “beati possidentes de la foi”1

L’enseignement de Basilide est destiné à ceux qui ont abandonné l’esprit de pesanteur, et brisé les tables sur lesquelles étaient inscrites les anciennes valeurs. Il faut consentir à la perte du sens pour le trouver à nouveau.

Cette théologie n’est pas celle de la mort du divin. Elle concerne la disparition du Dieu des chrétiens, sous sa forme figée. Ce dieu-là a perdu toute complexité, toute puissance de manifestation symbolique de l’archétype divin. L’archétype est vide.  Il ne subsiste plus, de ce qui devrait être un symbole vivant, que des traces. C’est ce que Nietzsche dans Ecce homo (p.72) ou l’Antéchrist (p. 48)  appelle ironiquement la moraline.

Jung propose une nouvelle voie : la relativité du divin.

Jung va préférer le terme de métamorphose à celui de mort. Il ne se contentera pas de détruire, il proposera une voie nouvelle entre le théisme et l’athéisme. Cette voie est celle de la relativité du divin qu’il va faire descendre des hauteurs de la pensée abstraite pour le ramener dans la vie de l’homme.

L’affirmation que Dieu est créature, relègue l’idée d’un Dieu transcendant au niveau de l’archétype en soi irreprésentable (cf. les archétypes, le Soi).  Elle redonne sens à un divin omniprésent dans la vie humaine et se manifestant sur le plan de la représentation archétypique.

L’Homme, s’il ne peut avoir de relation avec le Dieu abstrait, celui-là même qui était mort pour Nietzsche, retrouve un Dieu, symbole vivant de la manifestation de l’absolu. Cette voie paradoxale, inspirée par Nietzsche, et revisitée par Jung, conduit à une approche du divin qui, comme l’écrit Christine Maillard :

Impliquera donc à la fois une subversion radicale de la conception chrétienne, et le renoncement à la négation pure et simple de celle-ci proclamée dans “la mort de Dieu”. (Op cité,p.122)

L’erreur des morts, venus demander son enseignement à Basilide-Jung, est de prendre pour le seul Dieu une manifestation de  la totalité contenant une pluralité de possibles. Or, le Dieu Créature du deuxième Sermon est pourvu d’attributs. Il ne peut donc, de par sa discrimination et son appartenance au monde manifesté, être que multiple.

La remise en question du monothéisme chrétien

On assiste au cours du quatrième Sermon, à une remise en question du monothéisme chrétien dogmatique. Elle était préfigurée par Nietzsche et son Gai savoir :

“L’art et la force admirables de créer des dieux, – le polythéisme – voilà en quoi cette impulsion avait loisir de se dépenser, où elle se purifiait, se perfectionnait … En revanche le monothéisme, cette conséquence rigide de la doctrine d’un homme normal unique – dont la croyance en un dieu normal, hormis lequel il n’existe plus que des divinités fallacieuses et mensongères – constituait peut-être le plus grand danger de l’humanité jusqu’alors.”2

Comment ne pas reconnaître les mêmes accents dans ces lignes du Sermon IV :

Heureux suis-je, moi à qui il est donné de connaître la multiplicité et la diversité des dieux. Malheur à vous qui remplacez cette multiplicité de dieux incompatibles par le Dieu unique. Ce faisant vous engendrez le tourment de l’incompréhension et la mutilation de la Créature, dont l’essence et la tendance sont différenciation. Comment pouvez-vous être fidèles à votre essence si vous voulez réduire le multiple à l’un. Ce que vous ferez aux dieux, vous le subirez vous-mêmes. Vous serez tous coulés dans le même moule et vous en serez mutilés dans votre essence.” (p.24)

L’homme monothéiste est inachevé,comme cela est dit clairement dans ce même sermon :

“Alors les morts sanglotèrent et s’agitèrent, car ils étaient des inachevés.”(p.23)

Il n’a pas osé se mesurer à la complexité, et il est resté confiné dans son unilatéralité.

En transposant sur le plan psychologique, on peut dire qu’il n’a pas accepté la confrontation avec l’inconscient et la diversité, en apparence chaotique, de ses composants. Il n’a pas suivi le chemin de l’individuation qui comporte une intégration d’éléments appartenant à une totalité psychique plus vaste que celle du Moi conscient.

Les concordances entre Jung et Nietzsche

Il y a concordance entre les conceptions nietzschéennes de l’ambivalence de toutes choses, en particulier divines, et le rejet, par Jung, de la conception d’un dieu chrétien envisagé comme summum bonum.

Cette vision imprègne le Zarathoustra et se retrouve théorisée dans l’Antéchrist, un ouvrage réservé, selon Nietzsche, aux rares élus qui comprennent son Zarathoustra. Il y explique la nécessité d’une critique de l’idée chrétienne de Dieu, par le fait que l’on se projette soi-même dans cette idée. La religion serait, écrit-il, une forme de reconnaissance et :

“La castration antinaturelle d’un Dieu pour le réduire à un Dieu du bien ne serait en l’occurrence nullement chose à souhaiter.On a besoin du Dieu méchant aussi bien que du Dieu bon ; on ne doit assurément pas sa propre existence précisément à la tolérance, à la philanthropie. Qu’importerait un Dieu qui ne connaîtrait pas la colère, la vengeance, l’envie, la ruse, la violence. » (p. 43)

Il y a là des accents que l’on retrouvera, bien plus tard, sous la plume de Jung, dans Réponse à Job.

Pour le Jung des Sermons, précoce annonce de celui de Réponse à Job, Dieu n’est pas bon comme l’enseigne l’unilatéralité du christianisme.

C’est une totalité complexe, incluant tous les pôles opposés : la création et la destruction, le masculin et le féminin, le céleste et le chtonien.

Seule la relation avec la Créature, et la conscience que cette dernière pourra avoir de lui, permettra à ce Dieu total de se différencier. Il aura alors la possibilité de devenir accessible à la représentation, par l’intermédiaire du symbole.

Appréhender ce Dieu efficient, l’Abraxas des Sermons, est une tâche difficile, ainsi que l’exprime Basilide-Jung au Sermo III (p.21)

Les morts s’approchèrent comme un brouillard qui s’élève des marécages et s’écrièrent : parle-nous encore du Dieu suprême.

L’Abraxas est le Dieu difficile à connaître. Sa puissance est la plus grande, car l’Homme ne la voit pas. Du soleil il voit le summum bonum, du Diable l’infinum malum, mais de l’Abraxas il voit la VIE, toujours indéfinie, qui est la mère du bien comme du mal.”

L’enracinement profond des Sermons dans l’œuvre de Nietzsche

Progresser sur la voie de la représentation, comprendre les manifestations symboliques de ce dieu identique à la Vie multiple et foisonnante, les accepter par un grand Oui fut la tâche de Jung.

Cette tâche, dont il eut une intuition quasiment initiatique au moment de la rédaction des Sermons, s’enracine profondément dans l’œuvre de Nietzsche, particulièrement le Zarathoustra. Même si cette lecture avait été oubliée, selon Jung, dans le curieux état psychique où fut effectuée cette rédaction, son souvenir était bien là, à la frange de la conscience.

Parmi les textes, émaillés de paradoxes, du Zarathoustra  demeure une constante : le Oui à la Vie,

“l’affirmation, immense, illimitée qui dit à tout oui et amen” (p. 327)

de Nietzsche, que l’on peut mettre en parallèle avec le

“Oui inconditionnel à ce qui est”,

affirmé par Jung dans Ma vie. (p.340)

L’acceptation, pleine d’une crainte révérencieuse de tous les aspects de l’Abraxas du Sermo III, s’inspire de la conception  nietzschéenne de Dionysos, un dieu à la fois bon et terrible, symbole de la Vie sous tous ses aspects, y compris le déchaînement des Bacchantes et le rire de Silène.

“Je n’aime au fond du cœur que la vie, et en vérité je ne l’aime jamais autant que lorsque je la hais”

chante Zarathoustra dans Chanson à danser (p.227).

La Seconde chanson à danser est un hymne à la Vie, une Vie capricieuse et imprévisible, comme la Nature :

“J’ai plongé récemment mon regard au fond de tes yeux, ô Vie ; j’ai vu scintiller l’or au fond de tes yeux ténébreux – et mon cœur ravi a cessé de battre. …

Je te crains, proche – je t’admire lointaine – en fuyant tu m’attires – quand tu m’attires tu me glaces – je souffre mais que ne souffrirai-je volontiers pour toi ?”

Cette vie où la belle humeur est la condition d’une acceptation inconditionnelle d’une existence à la fin de laquelle on pourra dire à la mort, comme il est écrit dans La chanson ivre, p.611 :

“c’était donc cela, la vie, eh bien recommençons ! ”

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Publié initialement dans le cadre d’une thèse cette page a été adaptée par Ariaga (Ariane Callot), son auteure.
Les ouvrages cités sont référencés à la page bibliographie.

Notes :

  1. Les Sept Sermons aux Morts, p.115.
  2. Livre troisième, De la plus grande utilité du polythéisme. p. 145

Ariaga
Ariane Callot

Ariane Callot est docteur en philosophie. Elle a soutenu en 2000 une thèse orientée sur Jung. Sous le pseudo d’Ariaga elle est l’auteur du blog Extraits du Laboratoire d’Ariaga.

Ariane Callot

Cheminant dans les pas de Jung, j’ai tenté de donner à penser que l’on peut, par l’intermédiaire des série de rêves, observer les re-présentations structurelles et symboliques d’un enseignement de l’inconscient …
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