Rechercher Faire un don Espace Francophone Jungien
Accueil    C.G. Jung    Son oeuvre    Articles    Séminaires    Ressources    Livre Rouge    Sites jungiens    Contact

Espace Francophone Jungien menu

Quand le Soi vient frapper à notre porte

À travers le mythe de Philémon et Baucis, Michelle Nahon nous montre l’union paisible du moi et de l’anima ou de l’animus, dans une conscience prête à accueillir le Soi. Une sagesse discrète, enracinée dans l’ouverture du cœur.

Jupiter et Mercure avec Philemon et Baucis – Pierre Paul Rubens – Domaine public

 

L’histoire de Philémon et Baucis

La belle histoire mythique de Philémon et Baucis nous éclaire sur la conduite à tenir pour accueillir le Soi. 

Ce vieux couple -le moi et l’animus ou le moi et l’anima– est arrivé à l’harmonie non dans l’avoir mais dans l’être.

Un soir, sous une figure mortelle, Jupiter -l’un des symboles du Soi– sollicite place et repos dans les collines phrygiennes. Il est accompagné de Mercure qui a ôté ses ailes.

Temps privilégié où la matière a su intégrer l’esprit et où le spirituel se fait matière. Les alchimistes donnaient une directive dans une formule dense : corporifiez l’esprit et spiritualisez le corps.

Mille maisons les dieux approchent, mille maisons se ferment au verrou. Une seule les reçoit, petite il est vrai, construite en chaumes et joncs de marais.

Pas de méfiance, l’accueil le plus direct à la manifestation du Soi comme si le vieux couple était en état de vigilance et de réceptivité à toute manifestation de la vie qu’elle soit intérieure ou extérieure.

Le Soi veut entrer en relation

Le Soi veut entrer en relation puisqu’il est accompagné de Mercure, son messager, celui qui crée le lien entre les dieux et les hommes ou entre le Soi et le moi. En ayant déposé ses ailes, Mercure souligne bien qu’il s’agit de cette mise en relation. Alors que pourvu d’ailes, il est plutôt l’interprète de la volonté divine et le protecteur des héros.

La porte n’est pas fermée à clé car elle symbolise la douzième et dernière porte de la sagesse,

« celle qui nous apprend à laisser venir le nouveau afin de créer notre propre vie. »
Ripley Georges, Le livre des douze portes, Londres, 1591

Les dieux doivent se courber pour passer le seuil tant la porte est basse… Ce détail peut souligner l’exiguïté de cette pauvre chaumière mais il peut aussi indiquer un symbolisme que l’on retrouve par exemple dans la franc-maçonnerie où la porte du temple doit être très basse.

« Le profane en pénétrant dans le temple doit se courber, non en signe d’humilité, mais pour marquer la difficulté du passage du monde profane au monde initiatique ».
Jules Boucher, La symbolique maçonnique, Paris, 1953, cité dans Le dictionnaire des symboles.

Ici, ce sont les dieux qui se courbent dans ce mythe peut-être pour indiquer de façon symbolique au lecteur ou à l’auditeur -car ce mythe a dû être oral- qu’en franchissant le seuil de cette cabane, ils pénètrent dans un autre monde, le monde de l’être.

A l’intérieur, ils se trouvent dans une pièce chaude, accueillante et très propre, où un vieil homme et une vieille femme aux doux visages leur souhaitent la bienvenue de la façon la plus amicale et s’affairent à les mettre à l’aise.

La conjonction des contraires réalisée

Tout respire la chaude harmonie dans cette pièce aussi bien les objets que les personnes, symbolisant l’arrivée dans le monde de la conjonction des contraires réalisée : « La pieuse Baucis, une vieille femme, et, Philémon, du même âge qu’elle, se sont unis dans leurs jeunes années ; là, ils ont vieilli et fait leur pauvreté légère en l’admettant et en la supportant sans chagrin. Et il n’y a pas lieu de rechercher ici maîtres ni serviteurs : à eux deux, ils sont toute la maison, mêmement ordonnant et obéissant. »

Si le nom de Baucis est associé à un qualificatif indiquant sa dimension spirituelle, nul besoin de qualifier Philémon, car en grec, son nom est déjà porteur d’une indication, le verbe φίλέω, philéô, signifiant aimer d’amitié. L’un et l’autre symbolisent des sentiments élevés.

Aussitôt, le couple s’affaire pour accueillir leurs hôtes. Philémon installe un banc, Baucis le couvre d’une toile grossière et tandis que les habitants du ciel se reposent, elle s’active à raviver le feu de la veille. Elle l’alimente de feuilles et d’écorces sèches et « de son souffle de vieille femme » elle l’aide à s’enflammer tandis que son mari est allé cueillir un légume dans le frais jardin.

Nous sommes tentés par la paresse

Non seulement, ils accueillent Jupiter et Mercure mais ils s’activent pour leur préparer un repas chaud. C’est une grande leçon ici. Combien de fois sommes-nous tentés par la paresse, cette paresse (ou oisiveté), mère de tous les vices, comme dit le proverbe ! Le vieux couple ne ménage pas sa peine pour les voyageurs qui ont frappé à leur porte. C’est ainsi qu’il serait bon d’agir lorsque notre conscience est interpellée par un fait extérieur ou par une manifestation intérieure. Tout mettre en œuvre pour accueillir cette possibilité que nous offre la vie.

Après avoir garni le feu et mis à chauffer un petit chaudron, Baucis épluche le légume apporté par Philémon et, « avec une fourche à deux dents, décroche de la noire solive le lard sali d’un porc, et à ce morceau longtemps conservé découpe un petit quartier qu’elle amollit, en tranches dans l’eau bouillante. »

L’importance des travaux quotidiens bien faits

Tous les détails des préparatifs sont décrits par Ovide au point qu’il est facile d’imaginer la scène. L’importance des travaux quotidiens bien faits et exécutés avec amour est l’une des clés de cette réalisation de l’être que nous recherchons souvent fort loin alors qu’il s’agit d’être dans la conscience de l’instant et dans la plénitude de l’activité créatrice quelle qu’elle soit et quel que soit le travail réalisé.

« Ce faisant, ils trompent le temps par leurs bavardages ». Ce vieux couple a vraiment le sens de l’hospitalité ! Pour éviter que leurs hôtes s’ennuient, ils leur parlent, mais sans les « gonfler » comme dirait la jeune génération, une conversation joyeuse et légère, comme leurs cœurs…

Comme on le verra tout au long du mythe, ce qu’ils offrent est le fruit de leur travail. Ils vivent en économie fermée sur le plan matériel et ils ont une politique d’ouverture sur le plan humain et spirituel.

Simplicité et autarcie

Cela me fait penser à Jung qui tenait beaucoup à vivre, lorsqu’il le pouvait, dans la simplicité et l’autarcie. Il se réfugiait de temps en temps à Bollingen où il n’y avait pas de confort, pas d’électricité, pas de chauffage, sinon le feu de cheminée dont il préparait lui-même le bois. Il sentait que cette simplicité lui était nécessaire pour se « retrouver ». L’autarcie matérielle favorise la centration psychique et la réalisation intérieure.

Fait amusant et sans doute significatif qui n’est pas le point de départ de ce chapitre mais qui pourrait ressembler à une synchronicité : dans une période critique de sa vie, Jung a « rencontré » un Philémon [Ma vie] dans ses phantasmes, un vieil homme qui s’est comporté pendant un temps comme un esprit protecteur, un gourou en esprit !

Pendant que la soupe mijote, le vieux couple, tout en bavardant, prépare la banquette en joncs moelleux du fleuve où vont s’allonger les visiteurs pour le repas. Ils la couvrent d’un tapis -une étoffe vieille et ordinaire- qu’ils n’avaient l’habitude d’étendre que les jours de fête.

La fête c’est la vie des archétypes en chacun de nous

Détail important : dans leur pauvreté et leur simplicité, le déroulement du temps reste un repère important. Ils continuent à honorer les jours de fête. Ils sont conscients du sens vrai de la fête en rapport avec le Soi. La fête, c’est la vie des archétypes en chacun de nous, c’est une des possibilités de communication avec l’inconscient.

Les dieux s’étendent sur la banquette, suivant l’habitude du pays de manger allongé. Baucis installe la table mais le troisième pied est boiteux : elle l’équilibre avec un tesson.

Dans un premier temps, ce pied boiteux semble insister sur la pauvreté du logis. Mais n’y a-t-il pas un sens caché dans ce détail ?

Seul le moi peut mettre en actes

Le Soi ne peut intervenir sur le plan matériel, seul le moi peut mettre en actes. On retrouve la même chose dans différents textes de la mythologie gréco-romaine où les dieux sont obligés de faire agir les hommes ; ils ne peuvent mener eux-mêmes une action. Il est vrai que dans le mythe de Philémon et Baucis, ils sont transformés en humains et, comme nous le verrons plus loin, ils ne se contentent pas du fumet des aliments !

Sous leur apparence humaine, ils auraient peut-être pu aider les deux bons vieux. Mais il faut être prudent dans l’interprétation de ce fait. Si, en ce temps-là, les hôtes aidaient, froissaient-ils ceux qui les accueillaient ? Je me souviens que, à l’époque de ma jeunesse, lorsque nous étions reçus chez des cousins à la campagne, -cela remonte loin- il n’était pas possible de mettre les mains à la pâte sans les vexer.

Il me revient en mémoire que le Philémon de Jung, par une coïncidence -fortuite ou non- est boiteux lui aussi ! Cette table instable aurait-elle une signification symbolique ? Car enfin, cette table, le vieux couple s’en servait, pourquoi serait-elle tout à coup instable ? Sans comparer une table à Jacob qui se retrouve boiteux après son combat avec Dieu, peut-on envisager que ces présences divines ne soient pas neutres sur l’environnement ?

La table équilibrée et essuyée avec des menthes vertes, reçoit cornouilles confites, chicorées, raifort, fromage, œufs retournés prestement sous la braise modérée et, l’expression est plaisante pour désigner les olives, « la baie naturelle de Minerve, en deux couleurs »…le tout dans des jarres d’argile que sûrement les deux vieux ont façonnées eux-mêmes. Sont disposés aussi des coupes en bois de hêtre enrobées de cire et un cratère d’argile pour le vin qui n’a pas longtemps vieilli…puis les plats chauds sont servis, suivis d’une abondance de desserts naturels, quantité de fruits frais et séchés et un blanc rayon de miel. « Par-dessus tout s’ajoutent des visages de bonté et une obligeance qui n’est ni de petitesse ni de vieillesse ».

L’accueil du Soi

Ces vieilles gens sont dans la note juste. Ils montrent la réalité de la plénitude des êtres et l’auteur, par des remarques fines et concrètes, nous en fait prendre conscience, ainsi que des qualités que doit prendre le moi avant que le Soi ne vienne taper à sa porte et qu’il soit accueilli !

Dans cette harmonie, un fait surprenant attire l’attention du vieux couple : le cratère où l’on ne cesse de puiser se remplit tout seul et le vin y monte de lui-même.

Effarés par ce miracle, ils s’apeurent ; mains renversées, effrayés, Baucis et Philémon prononcent des formules de prière invoquant le pardon pour le repas et l’absence d’apprêts.

Abnégation et effacement du moi

Réaction surprenante ! Ils ont tout de suite pensé à la présence de dieux -et non par exemple à des esprits malfaisants- et ils prient pour se faire pardonner alors qu’ils ont donné avec générosité ce qu’ils possédaient ! Ils ne sont pas inquiets pour eux-mêmes, ils ne craignent pas pour leur vie, non, c’est la pensée d’avoir mal reçu leurs hôtes qui les occupe. C’est vraiment l’abnégation et l’effacement du moi qui sont montrés dans ce récit.

Ils n’ont pas tout offert et leur réaction est de donner le dernier bien qui leur reste, une oie, unique, vigie du tout petit logis, écrit Ovide. Les voilà poursuivant le volatile qu’ils veulent immoler à leurs hôtes divins. Mais l’oie leur échappe, se joue de la lenteur de leur âge et finit par se réfugier près des divinités qui défendent de la tuer.

Dans cette scène, Philémon et Baucis suivent leur idée. Ils n’ont pas offert leur bien le plus précieux, encore que les dieux doivent être amplement rassasiés, et ils veulent en faire le sacrifice. Sommes-nous prêts au sacrifice de nos possessions les plus chères pour accueillir au mieux le Soi ?

Que cette ultime possession soit une oie a certainement sens dans ce mythe. Il est des oies célèbres, les oies sacrées du Capitole, élevées dans l’enceinte du temple de Junon et qui ont sauvé Rome par leurs criailleries. Junon, d’ailleurs, est souvent qualifié de moneta, la déesse qui avertit, celle qui fait souvenir. La suite va nous faire comprendre le choix de cet oiseau.

En défendant de tuer l’oie, les hôtes se dévoilent : «  Nous sommes dieux, dirent-ils », ce que les deux bons vieux ont compris depuis le miracle du vin. Et ils enchaînent tout de suite sur le châtiment mérité par le voisinage. Jupiter ne transige pas avec l’hospitalité, c’est lui le protecteur des voyageurs. Il demande à Philémon et Baucis de monter jusqu’à la crête de la montagne. Proches du sommet, ils se retournent : l’eau a tout englouti sauf leur cabane.

C’est le retour dans le sein de l’inconscient pour tous ceux qui n’ont pas su voir le Soi

La nécessaire transformation du moi pour accueillir le Soi

Tandis que le couple s’étonne et se lamente sur le sort de leurs familiers, leur vieille masure se change en temple. Des colonnes ont remplacé les montants en fourche, le chaume blondit, la toiture montre des dorures, les portes des ciselures, la terre un pavement de marbre.

La maison est considérée comme un symbole du moi. Cette transformation en temple choisie par Jupiter me paraît significative de la nécessaire transformation du moi pour accueillir le Soi : bâtir sur les colonnes des oppositions de la vie, réaliser la beauté intérieure et la finesse des transformations, trouver et ciseler l’or intérieur…

Jupiter, avec douceur, prend la parole : « Dites, juste vieillard, et toi, femme digne d’un juste époux, ce que vous souhaitez. »

Après un bref entretien avec Baucis, Philémon révèle aux dieux leur idée commune : « Nous sollicitons d’être vos prêtres et de veiller sur votre sanctuaire… »

Le moi qui veille sur la demeure du Soi en accord avec l’animus/anima.… Et l’oie – n’oublions pas le symbolisme du volatile- vigie de la demeure, se retrouvera oie sacrée auprès du temple de Jupiter !

« …et puisque nous avons mené notre vie d’un seul cœur, que la même heure nous emporte tous les deux ; que jamais je ne vois le bûcher de mon épouse, que jamais elle n’ait à me mettre au tombeau. »

Une demande émouvante et juste ! La vie les a unis, la mort ne peut les séparer. Sans doute le bûcher et la mise au tombeau correspondent-ils aux mœurs de l’époque où ce mythe est né mais j’aimerais aussi y voir la montée de l’âme par le Feu et le retour du corps à la Terre…

La fin du mythe est en accord avec cette dernière hypothèse. « Ils furent la garde du temple tant que la vie leur fut donnée. Un jour que, défaits par l’âge et les années, ils se tenaient devant les degrés sacrés et racontaient les événements de l’endroit, Baucis vit Philémon se couvrir de feuilles, se couvrir de feuilles le vieux Philémon vit Baucis… »

Jupiter leur accorde le destin extraordinaire d’être transformés en arbres, Philémon en chêne, Baucis en tilleul. Les arbres relient le ciel et la terre, ce que Philémon et Baucis ont réalisé toute leur vie durant…

Le vieux couple figure une conscience unifiée, capable d’ouvrir la porte à l’irruption du Soi — non par grandeur, mais par humilité, vigilance et fidélité aux gestes de la vie.

Juin 2025

Note : Les citations ci-dessus sont de Ovide, Métamorphoses, VIII, 616, traduction de Claire Tardioli-Jougnot.

Adresser un message à Michelle Nahon

 

Michelle Nahon

Michelle Nahon est psychologue de formation, attirée depuis longtemps par les « sciences parallèles » dites ésotériques. Elle a lu Jung et s’est intéressée à l’astrologie, à l’alchimie, à la gnose, ainsi qu’aux écoles de mystère de la Grèce antique, qu’elle a pu approcher grâce à sa formation de base en latin et en grec.

Elle a travaillé plusieurs années sur ses rêves avec Rolande Biès. Elle a également participé au Groupe de travail jungien de Bordeaux (2001–2019), fondé par Jean-Pierre Marmonier, docteur en psychologie et enseignant à l’Université de Bordeaux.

Elle est l’auteure d’un ouvrage consacré à Martinès de Pasqually et poursuit actuellement l’étude de l’œuvre de Raymond Abellio (1907–1986).

Article


Espace Francophone Jungien - cgjung.net
Espace Francophone Jungien
Menu principal Faire un don
Page d'accueil
Carl Gustav Jung
Ouvrages de C.G. Jung
Articles et entretiens
Séminaires de formation
Ressources jungiennes
Le Livre Rouge de C.G. Jung
Marie-Louise von Franz
Sites jungiens
Mises à jour du site
Formulaire Contact
Qui sommes nous ?
Rechercher sur le site
Plan du site
Facebook
Jungian Psychology Space
Haut de page

cgjung.net © 1998 -