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Le contenu du Livre Rouge de C.G. Jung est d'un apport considérable pour tous ceux qui s'intéressent à la psychologie analytique. Luca Governatori a réalisé un important travail de recherche, il a accepté de répondre à nos questions.
Luca Governatori : Les "nuits" de Jung traduisent avant tout sa vie "secrète", elles correspondent à tout ce qu’il préféra taire de son vivant, car cela relevait selon lui de "l’inexprimable", ou de la "folie". Plus précisément, cela renvoie à l’idée que le mystère de la "nuit", royaume de l’invisible et de l’indéfinissable, désigne pourtant un lieu d’expérience, et sans doute même le cœur de toute expérience.
S’approcher de cet indéfinissable, en suivant l’étrange déambulation intérieure que Jung retranscrivit dans le Livre Rouge, fut en ce sens mon objectif. Trouver ce foyer commun où mystique et psychologie finissent probablement par n’être qu’une seule et même "voie".
Oui. Car Jung ne s’est sans doute laissé connaître, de son vivant, que sous un certain aspect, sous la figure du psychiatre et de l’érudit. On le devinait peut-être auparavant, mais cela demeurait obscur et incomplet : depuis la publication du Livre Rouge, il n’y a en revanche plus d’ambigüité, Jung n’a pas eu pour seul souci d’expliquer l’inconscient et de le raisonner, il fut avant tout son propre patient, un chercheur des secrets intérieurs, un mystique, un aventurier.
Mais bien entendu, derrière ces deux aspects, à la fois contraires et complémentaires l’un de l’autre, la vie de Jung fut justement la tentative de les réunifier, afin de faire resplendir l’unité de l’âme.
L’espace de la Vision s’est ouvert à lui. Expérience mystique de premier plan qui consiste à découvrir que le monde physique n’est qu’une simple apparence, une illusion. À travers des états visionnaires, il parvint à vaincre le pouvoir de cette illusion et à entrer littéralement dans la "nuit" des choses : là où une autre vie apparaît derrière la vie, là où d’autres réalités apparaissent derrière la réalité.
C’est une découverte essentielle formulée dans le Livre Rouge : paradoxe remarquable d’un psychiatre qui cesse de traiter la folie comme une malformation psychique, et qui accepte au contraire de l’accueillir, de dialoguer avec elle, et même d’en faire directement l’expérience.
Comme si le Livre Rouge, et c’est exceptionnel de la part d’un psychiatre, n’était pas un livre sur la folie, mais un livre où la folie prendrait d’elle-même la parole, pour se dire avec plus de vérité. En ce sens, La folie n’est plus assimilée au monstre qui dévore, mais aux profondeurs indescriptibles de la psyché.
Ce que comprend Jung à travers ses expériences visionnaires, c’est que l’erreur fatale, tout comme chez Platon lorsque les hommes confondent la réalité avec les ombres projetées sur les murs de la Caverne, consiste à prendre les apparences sensibles pour la réalité, alors qu’elles ne sont qu’une pure et simple création psychique.
Aussi, en descendant dans les "profondeurs" de l’âme, Jung perça le voile de l’ignorance, il rencontra le substrat réel des choses, la source vive, éternelle et illimitée, depuis laquelle le monde extérieur prend forme en tant que tel.
Nos consciences, aujourd’hui encore comme à l’époque de Jung, demeurent trop marquées par un message judéo-chrétien, qui ne correspond pourtant pas à l’enseignement primitif du Christ, selon lequel les êtres et leurs actes seraient justes et bons, ou au contraire dévoyés et mauvais.
L’obsession de Jung fut de combattre ce préjugé, cette dualité, et de rappeler que le "Dieu" des Anciens était lui-même fondamentalement ambivalent, souverainement divin du fait même de cette ambivalence, qui embrasse toutes choses plutôt que de pratiquer une politique du tri.
Le mal ou le diabolique lui apparurent ainsi comme des manifestations authentiques de la vie. Plutôt que de les rejeter aveuglément, il invitait donc à s’y confronter, à sentir que nous sommes intimement et directement reliés à ces forces de "l’ombre".
Certainement. Dans le domaine de la psychologie, il fut parmi les premiers à mettre en lumière le principe d’une vaste "hérédité psychique".
Notre conscience, venant au monde, serait d’emblée structurée par des matrices qui en influenceront la vie, et celles-ci relèvent aussi bien de ce que vécurent nos ancêtres, que d’un héritage "transpersonnel" ou "collectif", à travers lequel vibrerait en nous la vie d’une multitude d’autres êtres humains.
Le Livre Rouge est un livre qui donne vie à la mort. Un livre qui transcende l’opposition entre la vie et la mort. En ce sens, les morts qui apparurent à Jung lors de ses visions ne sont pas simplement morts, mais tout aussi bien "vivants", à leur manière.
C’est en acceptant d’écouter leurs "revendications", en dialoguant avec eux, en mettant fin au vacarme inconscient qu’ils produisaient en lui, que Jung parvint progressivement à vaincre ses tourments, à faire rayonner paix et unité à l’intérieur de lui.
Oui, pour amener un éclairage sous l’angle de nos acquis philosophiques. Car si la logique de la synchronicité semble à première vue contraire à l’ordre de la rationalité, il m’a paru évident qu’elle n’était au contraire que le corrélat naturel d’une rationalité d’un autre ordre, plus profonde, qui ose transgresser la linéarité mécanique des causes et de leurs effets, pour envisager, comme à travers les éclairages de la physique quantique, une logique des événements plus riche, plus complexe et plus globale.
C’est l’enseignement que reçoit Jung lors de l’expérience des "Sept Sermons aux morts" : la psyché humaine serait éternelle par nature, elle serait un pont, une transition, entre différents types d’expériences.
Non pas quelque chose de fini, ou quelque chose de terrestre par opposition aux manifestations d’une vie céleste, mais quelque chose d’infini, qui relie le Haut et le Bas, qui prolonge la vie des "dieux" et leur donnerait une consistance nouvelle, une épaisseur d’un autre ordre. Où comment des "dieux", découvrant la finitude de l’homme, parviendraient à transcender leur essence, parvenant à être simultanément infinis et finis, créateurs et créatures : autrement dit, "Dieu" Lui-même, créateur de toutes choses et créature de sa propre Création.
La psychologie de Jung, qui trouve là son achèvement ultime, ne serait donc pas, à proprement parler, le parcours de l’homme en quête de l’étincelle divine, mais l’inverse : cette étincelle elle-même "en devenir".
Le but : cesser de s’identifier à des hommes, et incarner le "devenir-homme" de Dieu. Sans doute est-ce là le sens le plus profond du "processus d’individuation" dont parlait Jung. Tout être vivant serait une "individuation" de l’Éternel.
C’est un souhait : à ceux qui connaissent l’œuvre de Jung, et qui pourraient y trouver des éclairages ou précisions sur certains points, en vue d’élargir les multiples résonances que suscite le Livre Rouge.
Mais aussi : à ceux qui ne le connaissent pas, car j’ai également tenté, en proposant cette lecture du Livre Rouge, de redonner accès aux grands concepts de la psychologie de Jung, ainsi qu’à certains événements majeurs qui jalonnèrent sa vie :
Il est né en 1977. Il est diplômé de la FEMIS et docteur en philosophie.
A la suite de nombreux voyages en Asie et après s'être familiarisé avec certaines de ses traditions (bouddhisme tibétain, Advaïta Vedanta, Kriya Yoga, Yi Jing), il revient vers l'Occident et dédie ses recherches aux sources et méthodes d'une exploration vivante de l'inconscient :
Il est aujourd'hui cinéaste, essayiste et thérapeute.
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