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René Thom et Carl Gustav Jung

Jacques Viret, médecin et biologiste, imagine une rencontre entre le mathématicien français René Thom et C.G. Jung. Les échanges entre les deux hommes ont pour thème central le Soi et l’individuation.

Jacques Viret

Jacques Viret, l’auteur de cet ouvrage très original était médecin et biologiste. Il est né en 1943 et décédé en 2018, l’année de la parution de ce livre publié « à sa mémoire ».

Jacques Viret

Jacques Viret, photo prise lors du Colloque Pierre Solié, Sylvanès, en 2009.

Très jeune, dans les années 60 quand il était en terminale, il entend parler de Jung par son professeur de français. Celui-ci lui prête la revue Planète dans laquelle il y a un long article sur Jung. C’est le début d’une longue aventure à travers l’œuvre du fondateur de la psychologie analytique.

René Thom

Sa rencontre avec René Thom est beaucoup plus tardive, en 1988, mais il a la chance de devenir son dernier élève.

René Thom est né en 1923 et décédé en 2002. Mathématicien célèbre, surtout passionné par la géométrie, il fut médaille Fields en 1958 (équivalent du prix Nobel). Il est surtout connu pour sa Théorie des catastrophes et ses positions en philosophie des sciences.

Pourquoi cet ouvrage ?

Pourquoi Jacques Viret a t-il ressenti le besoin d’écrire un livre sur ces deux grands hommes qu’il admirait ? Il donne une raison très touchante que l’on rencontre rarement dans un ouvrage qui a du demander une recherche et un travail considérable :  « la première raison est tout simplement un témoignage d’affection. » (p.19).

Les éditions Baghera – 14,4 x 21 x 2,7 cm – 348 pages

Le genre de l’ouvrage

Le sujet est d’une grande audace intellectuelle. C.G. Jung et René Thom ayant vécu à des dates où ils auraient pu avoir un contact, Jacques Viret imagine que ce contact a eu lieu.  On est presque dans le domaine de la science fiction ou plutôt de ce que Jacques Van Herp appelait le roman d’hypothèse.

Cet ouvrage extrêmement original peut sembler d’un abord difficile pour le lecteur qui, en le feuilletant, observera des figures géométriques.

Cela n’est qu’un obstacle apparent car on peut effectuer une lecture à deux niveaux. Ceux qui ont une certaine connaissance de la géométrie liront l’ensemble de l’ouvrage et d’autres trouveront un grand plaisir à lire certaines parties du livre.

Le thème et le lieu

Jacques Viret avait à la fois une grande connaissance de Jung et  connaissait de source directe la « topologie » de Thom. C’est probablement ce qui lui a permis d’envisager ce qui, pour un philosophe ou un scientifique, peut apparaître comme un projet assez farfelu, ce dialogue imaginaire entre ces deux hommes qui avaient eu une si grande importance dans sa vie.

Il imagine des dialogues très vivants et deux échanges de lettres entre ces « deux penseurs, deux savants qui se sont parfois heurtés au savoir académique de l’époque, quitte à paraître pour certains un peu provocateurs. »

De quoi s’agit-il ? La réponse la plus générale se trouve dans cette citation de Jacques Viret :

« Il n’est tout d’abord pas question dans cet ouvrage de présenter le « mathématicien » Thom comme désireux de « scientifiser » l’œuvre du  « psychologue » Jung. […] Il s’agit plutôt d’une proposition de lecture de la psychologie sous l’éclairage de la géométrie, discipline qui permet l’utilisation de moyens graphiques pouvant servir de support à la réflexion. » (p.20)

L’auteur imagine les entretiens quand, ils ont lieu en France,  là où travaille Thom. Ils se déroulent aussi en Suisse à Küsnacht dans la résidence principale de Jung, ou là où il a édifié sa tour, à Bollingen.  Il y a aussi un échange de lettres.

Jung et Thom étaient très différents

Dans la vie réelle, les profils de Jung et de Thom étaient très différents.

Pour commencer l’un était plutôt un psychologue et l’autre un mathématicien. Il faut cependant noter que la relation et la collaboration entre Jung et le prix Nobel de physique Wolfgang Pauli montrent que Jung possédait de solides notions en science et surtout une grande curiosité en ce domaine.

Dans son prologue Jacques Viret insiste à la fois sur ce qui les relie et ce qui les sépare.

Selon Jacques Viret, Jung n’avait pas de type psychologique dominant, même si on pouvait dire que c’était plutôt un faux introverti. Thom  était  du pur type introverti. Il était peu bavard, secret et rêveur. Jung à publié beaucoup de livres, Thom très peu. Ils n’employaient ni les mêmes mots ni les mêmes arguments.

Selon Jacques Viret les ressemblances existaient aussi et c’est certainement cela qui l’a poussé à écrire ce livre.

Ils étaient tous les deux parfois difficiles à lire car ils avaient des langages spécifiques. Leurs méthodes de travail avaient des points communs et leur quête était identique. Ils étaient tous deux finalistes et avaient une démarche holiste tendue vers la compréhension globale des choses.

Fait très important noté par Jacques Viret :

« Dans le cas de Thom et Jung, tout était à deviner, inventer, imaginer, puis vérifier. Ce n’est sans doute pas pour rien que cette dimension supplémentaire était la même pour tous les deux, à savoir une dimension liée à l’état énergétique de ce qu’ils observaient, curieusement plus métaphorique chez Thom et plus physique chez Jung. Tous deux voyaient véritablement des formes ou des structures, véritables supports de ces variations énergétiques. »

Les rencontres dans le récit imaginaire

L’auteur imagine des dialogues très vivants entre Thom et Jung.  On s’interrompt pour des demandes immédiates de renseignements, on fait des pauses.

L’initiateur de ces dialogues aurait été Thom  interpellé (p.45) par l’ouvrage de Jung intitulé l’Énergétique psychique.  Jung, surpris, est tenté de refuser mais il est curieux et il aime les sciences ce qui le pousse à accepter. Thom lui propose, en matinée, une « marche  introductrice » dans les jardins de son lieu de travail. Les autres rencontres auront lieu chez l’un ou l’autre avec, parfois, deux rencontres dans la journée.

Chaque rencontre a un thème principal inspiré par les recherches de l’un et l’autre.

Que se disent-ils ?

Il est impossible de rendre compte de ces foisonnants dialogues qui sont une  démonstration de la connaissance que Jacques Viret avait de la pensée et de l’œuvre de Jung et de Thom. Ce n’est pas une lecture facile mais l’effort procure une grande récompense. Comme le dit la présentation de l’éditeur, nous voyons se dessiner une forme, celle de la psyché.

Même si vous survolez le texte quand il devient très scientifique, vous trouverez du grain à moudre.

Un aperçu des dialogues et des lettres

Pendant la première rencontre ils discutent de la théorie des catastrophes qui a rendu Thom célèbre. Pour Thom, c’est tout simple : « Il s’agit de rendre compréhensible la survenue des différentes discontinuités dans le monde qui nous entoure. » (p.79)


Lire le complément d’information établi par Clément Morier.


La seconde rencontre est consacrée à la fonction psychique de Jung et à la fronce de Thom. Il s’agirait de modéliser la fonction psychique par la fronce.1 (p. 103)

Plus loin on lit dans une lettre de Jung à Thom (p.168) :

« J’ai été assez intrigué, au fil de nos rencontres, par la multitude des domaines d’applications que l’on pouvait aborder avec seulement quelques figures issues de votre théorie des catastrophes. »

Jung veut vérifier une intuition qu’il a eue au sujet du travail du dessinateur M.C. Escher. Il l’applique à des œuvres de l’artiste (p. 171 à 174). En réponse à cette lettre, Thom dit toute son admiration pour la réflexion de Jung :

« Je tiens tout d’abord à vous exprimer mon admiration pour la très belle synthèse que vous avez faite et tout le travail d’investissement que cela représente, et a vous féliciter d’avoir élaboré une réflexion sur ces xylogravures  … » (p.177)

Nous avons à nouveau une rencontre, la troisième, qui a pour thème général : Le développement de la personnalité selon Jung et la queue d’aronde de Thom.2 (p.187 sq)

Ils s’écrivent à nouveau (p.217) au sujet de la fonction transférentielle et de la queue bêche.3  Jung, à la fin de sa réponse, est lui aussi élogieux. Il écrit :

« Avant d’en terminer, je tenais à vous dire que j’ai beaucoup apprécié l’originalité de votre étude géométrique sur le problème du transfert, sujet difficile je le reconnais, et qui mériterait peut-être d’être poursuivie. » (p.234)

Le dialogue se poursuit avec des échanges consacrés au Soi et à l’individuation de Jung, le papillon et l’ombilic de Thom.4

Ces rencontres, qui ont pour thème central le Soi et l’individuation, se terminent par une très belle citation que l’auteur attribue au personnage Jung :

 » Je dois vous dire, pour terminer, que s’il ne faut que quatre figures pour modéliser ce processus d’individuation, une vie ne suffit pas pour le réaliser « . (p.278)

Dans le dernier chapitre des dialogues, ils se disent au revoir (p.289,290) en se remerciant pour leur enthousiasme pour leurs théories et pour leur patience.

Jacques Viret s’exprime sur le dialogue imaginaire

L’auteur s’exprime sur ce qui apparait comme probable ou improbable dans son récit imaginaire de ces rencontres entre Jung et Thom. Il avait déjà abordé le sujet dans son prologue mais il l’évoque à nouveau dans son épilogue.

Il se demande (p.295 sq) quelle était l’improbabilité humaine d’une telle rencontre. Il s’agit surtout de la personnalité  très forte et très différente des deux hommes.

« Aucun des deux n’aurait pu, ne serait-ce qu’un instant, devenir l’élève de l’autre. »

Jung, en particulier, aurait eu du mal à dialoguer avec un homme qui avait une fonction pensée dominante ajoute t’il.

Et pourtant, sur un plan scientifique, l’auteur développe l’idée que :

« Lorsque l’on reprend ce lent processus de maturation de l’individu depuis le début, les lectures, psychologiques selon Jung et topologiques selon Thom, apparaissent assez semblables. »(p.307)

Jacques Viret, à la fin de cet ouvrage passionnant, développe assez longuement tout ce qui rapprochait dans leurs recherches et aboutissements les recherches de Jung et de Thom sans négliger de profondes différences.

L’ouvrage se termine par une comparaison, inspirée par Michel Cazenave, entre l’édification de la tour de Bollingen par Jung et les morphologies archétypiques de Thom.

Pour conclure sur la lecture de l’ouvrage

Ce n’est pas un ouvrage, je dirais même une œuvre, que l’on lit pour se distraire.  Chacun peut y trouver matière à réflexion et ce que j’ai, pour ma part, privilégié se trouve bien résumé aux pages 298,299. Cela concerne les archétypes. Laissons s’exprimer l’auteur :

« Ainsi, en parlant d’archétypes, Jung utilise le terme de « préformes » et Thom celui de « formes ». Ils emploient tous deux l’expression de « formes vides » qui présentent la capacité d’organiser » […]

Même si les archétypes au sens « thomien » ne sont pas exactement les archétypes au sens « jungien » ils reposent cependant sur le même principe, l’investissement dynamique de formes potentielles, mais vides […] Autrement dit, les archétypes de Thom sont probablement déjà le résultat d’une toute première ébauche de « remplissage » des archétypes de Jung.

Malgré des caractères dissemblables, des recherches aussi de natures pratiquement opposées, des abords scientifiques différents et des démonstrations aux langages très éloignés l’un de l’autre, Jung et Thom avaient quelque chose de commun, plus d’ailleurs dans leur quête de la vérité que dans leurs œuvres proprement dites. S’il est remarquable en effet qu’ils soient parvenus tous deux à des notions archétypales très voisines, il est alors probable qu’ils soient parvenus aux portes de ce qu’entrevoyait Jung en parlant de l’ anima mundi, c’est à dire l’âme du monde. »

 

Complément d’information établi par Clément Morier

Thom et la topologie

René Thom est connu pour ses travaux en topologie, cette branche des mathématiques qui étudie les propriétés singulières des espaces géométriques, mais aussi leur déformation continue sous l’action de paramètres.

Ses collaborateurs et lui se sont ensuite servis de ses découvertes afin de réinterroger les processus d’apparition et de transformation de formes sous un angle dynamique.

Les domaines de la connaissance étudient ainsi des processus qui peuvent être modélisés par ces formes, afin de réfléchir qualitativement sur leur caractéristique et leur évolution.

Les formes de Thom et leur signification

Le pli, la fronce, la queue d’aronde, le papillon, et les trois ombilics.

Thom a donné des noms aux figures géométriques qui constituent la classification de ses sept formes typiques, susceptibles d’apparaître et de se déployer dans un milieu, indépendamment de la nature des forces en jeu. C’est ce qu’on nomme la « Théorie des catastrophes ».

Pages 84/85

Les catastrophes sont ces sept modes stables d’apparition rapide, brusque, d’une rupture, porteuse d’un nouvel état ou d’un comportement nouveau, dans l’évolution d’un processus. Ainsi de la queue d’aronde, du papillon ou bien encore de la fronce.

Ces formes géométriques, abstraites, renferment des propriétés particulières, typiques, lorsqu’elles deviennent le siège de processus évolutifs, lorsqu’elles sont considérées comme des systèmes dynamiques.

Jacques Viret s’est attaché dans la majeure partie de sa vie à comprendre et expliquer ces structures dynamiques, qui représentent un fonctionnement en évolution, susceptible de connaître des régressions, des progressions et des transformations sous forme de déferlement (les ombilics).

Ariane Callot – Mars 2020

Quelques définitions

  1. La fronce : cette forme exprime un processus de régulation visant à entretenir la « stabilité » psychique. La fronce advient dans un espace fonctionnel (métabolique), et se matérialise en plusieurs phases, centrées autour de l’intrusion brusque d’un contenu énergétique, inconscient, dans le conscient, avant une confrontation et une intégration éventuelles, dans le psychisme.
  2. La queue d’aronde vient enrichir le fonctionnement apporté par la fronce. Cette morphologie montre l’activité d’une variable supplémentaire, liée à l’évolution du dialogue entre le « moi » et l’ombre. Cette évolution se fait le long d’un axe où alternent régression et progression, selon la position de l’attracteur qui guide le processus, soit le conscient, soit l’inconscient. Ceux-ci forment alors ce couple d’opposés, générateur du système dynamique chez Thom, de l’énergétique psychique chez Jung.
  3. La queue bêche : il s’agit d’observer ici les trajectoires possibles quand viennent à s’arrimer deux « queue d’aronde », deux personnalités, au moment du transfert. Il faut introduire alors une seconde variable « interne » dans la forme, un second système énergétique, et l’on pénètre dans le monde beaucoup plus déflagrateur des formes « ombilics » de René Thom.
  4. Le papillon et l’ombilic : Ces formes adviennent en levant des variables restées jusque ici cachées dans les autres formes. L’enjeu est de restituer l’activité d’un nouveau paramètre, qui contrôle l’intrusion d’un nouveau type de système énergétique dans le fonctionnement de la psyché. Thom propose des dynamiques de déferlement, des épisodes de survie, l’intrusion de contenus énergétiques possiblement destructeurs… Jung répond spontanément : manifestations puis expérience du Soi, et donc processus d’individuation…

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