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Jung et la gnose

Dans cet ouvrage très documenté, Françoise Bonardel traite en profondeur de la relation de Jung à la gnose.

Les extraits ci-dessous témoignent de la diversité des sujets abordés, autour d’un thème richement exploré.

Clivage entre Nature et Esprit

« Adoptant spontanément dans son approche des mythes une méthode descriptive de type phénoménologique, Jung se situait ainsi dans la lignée des historiens des religions … pour qui la phénoménologie était, dans le domaine qui était le leur, la seule méthode possible face au clivage entre sciences de la Nature et sciences de l’Esprit …

Il se trouve simplement que la psychologie analytique naissante exigeait une approche nouvelle qui soit à la fois explicative et compréhensive, et donc une forme d’intelligibilité dont on pouvait supposer qu’elle avait existé dans le passé, bien avant ce clivage somme toute moderne entre Nature et Esprit dont Jung observait les effets psychologiques désastreux chez ses patients.

Le temps n’était cependant pas encore venu pour lui de constater, comme il le fera plus tard, que « le conflit entre la Nature et l’Esprit n’est que la traduction de l’essence paradoxale de l’âme ». Tenter de comprendre ce qui se jouait psychiquement dans la gnose, l’alchimie, les mystères antiques, visait dès lors moins à réhabiliter ces savoirs anciens qu’à restituer à l’esprit humain une forme de santé psychique faite de plénitude et de complétude. » p 41/42.

Jung, dans la lignée des grands penseurs romantiques allemands

« Jung s’inscrit bien dans la lignée des grands penseurs romantiques allemands – Auguste et Wilhelm Schlegel, Novalis, Achim d’Arnim – qui cherchèrent à contrebalancer l’hégémonie du rationalisme issu des Lumières françaises, hostiles à toutes les formes de superstitions véhiculées par les religions, et bien décidées à faire définitivement prévaloir l’éducation et la culture sur les farces aveugles de la nature.

Il en allait tout autrement pour les romantiques, considérant que l’individu ne saurait développer son humanité s’il perd tout contact avec cet organisme vivant qu’est la nature ; la culture parvenant dans les meilleurs des cas à transfigurer et spiritualiser cette relation archaïque.

Aussi la protestation romantique témoignait-elle de l’importance vitale du nocturne face au diurne, et réhabilitait-elle la passion de la nuit face à la clarté aveuglante du jour.

Souvent caricaturée, la relation des romantiques allemands à la nature témoigne surtout du malaise qui était le leur de se sentir dépossédés, déracinés et finalement aliénés par cette puissance maléfique, cette figure du mauvais Destin qu’était à leurs yeux la civilisation moderne. » p 58

Jung qualifié « d’hérétique »

« Parfois rapporté à Jung, le qualificatif d’hérétique est donc sujet à caution. Au regard de quelle orthodoxie religieuse, qu’il aurait imitée tout en la pervertissant, pourrait-il être ainsi nommé ?

Or, ce n’est ni en faisant allégeance à la tradition chrétienne ni en la transgressant délibérément qu’il a abordé les gnoses, mais en psychologue cherchant à étayer ses propres fictions interprétatives – de simples hypothèses de travail – par les témoignages vivants recueillis dans le cadre de sa pratique, doublés de ceux que contiennent les écrits gnostiques.

Il n’en demeure pas moins qu’en portant un tel intérêt aux gnostiques, et en prenant souvent leur parti contre ceux qui les critiquaient tout en traduisant leur langage en termes psychologiques, Jung pourrait paraître doublement hérétique.

Ainsi Sonu Shamdasani qualifie-t-il Le Livre Rouge de texte hérétique tout en ajoutant mais il reste à l’intérieur du cadre chrétien. N’est-ce pas justement parce qu’il reste à l’intérieur de ce cadre qu’il peut paraître hérétique ? » p 92

Les gnostiques furent eu-mêmes des « psychologues »

« Si la psychologie analytique est appelée à devenir une « gnose », c’est que les gnostiques furent eux-mêmes des « psychologues », au sens propre du terme bien sûr : des connaisseurs de l’âme humaine et, à travers elle, des mystères relatifs au Plérôme et à la « déficience » d’où son issus le monde et les hommes.

Jung le dit clairement dans Aïon, celui de ses livres où il est le plus souvent question de la gnose et des gnostiques […] Les gnostiques auraient donc eu la « révélation » au moins partielle des contenus symboliques inconscient que la psychologie analytique allait redécouvrir, mais de manière expérimentale cette fois-ci et avec la capacité d’en mettre au jour la dimension archétypale.

Les gnoses antiques seraient donc une anticipation inconsciente de la psychologie analytique à qui elles montreraient en retour la voit des profondeurs, trop longtemps désertée par l’homme moderne… » p 241

La psychologie analytique comporte une dimension « gnostique »

« La psychologie analytique comporte donc bien une dimension « gnostique » dans la mesure où l’exploration de l’inconscient suppose une intériorisation, une introversion comparable à celle pratiquée par les anciens gnostiques pour qui la connaissance de son soi véritable, distinct de l’âme, ne relevait pas de la raison mais d’une révélation supposant qu’on se détourne du monde pour mieux se retourner vers soi […]

Affirmant […] que la connaissance de soi promise par la gnose prend sa source dans l’expérience intérieure, Jung souscrivait à une telle vision : Il s’agit d’une connaissance de nature irrationnelle, qui se distingue de la pensée arbitraire. C’est un événement, une chose qui se révèle de soi-même, une activité de l’esprit qui est le résultat d’une position spirituelle tout à fait spécifique. » p 98

Le Livre Rouge est-il un écrit « gnostique » ?

« Longtemps inaccessible, et entouré du mystère propre aux choses interdites, Le Livre Rouge aujourd’hui traduit dans différentes langues pourrait conduire à repenser ce qu’on savait jusqu’alors des rapports de Jung et de la gnose en se fondant presque exclusivement sur Les Sept Sermons aux morts attribués au gnostique Basilide (11e siècle ap. J.-C.).

Mais ces fameux Sermons sont-ils vraiment la quintessence de la « gnose » jungienne, ou est-ce l’ensemble de cet écrit inclassable qui constitue un récit initiatique comparable à ceux des anciens gnostiques tant en raison de son contenu que de son style poétique et prophétique, souvent emphatique et très composite ?

Et si rien ne permet d’affirmer que la gnose est globalement présente dans cet écrit aussi insolite et dramatique que les mythologies gnostiques, peut-on au moins y découvrir des motifs – images, personnages, situations – rappelant ceux qui font l’originalité des gnoses antiques ?

La présence de tels motifs n’aurait alors rien d’anecdotique et permettrait au contraire d’accréditer la thèse de Jung selon laquelle les gnostiques auraient au moins entrevu le monde des archétypes : Ce sont les dominantes archétypiques de l’inconscient collectif qui constituent la source psychique des idées gnostiques », confirmera-t-il en 1949. » p 121

Le questionnement éthique

« Par sa violence même, la confrontation initiale à l’inconscient – et l’afflux d’images qu’elle a suscitées au début du Livre Rouge – ne prêtait guère au questionnement éthique, même si l’émergence brutale de l’ombre le rendait tôt ou tard inévitable.

Ce questionnement ne commence vraiment qu’avec la rencontre de Salomé, qui en fait apparaître pour la première fois la dimension « gnostique » qui transparaîtra ensuite tout au long du Livre Rouge, et plus encore dans les écrits ultérieurs de Jung.

La question éthique ne va pas en effet cesser de se poser dès lors que l’individuation suppose la « conjonction des opposés ». Abandonnant l’idéal de perfection au héros, Le Livre Rouge fait de Salomé l’initiatrice et l’annonciatrice d’une complétude (Soi) que le narrateur ne commencera à entrevoir qu’après bien d’autres épreuves. » p155

La question de la « déification » concerne l’homme contemporain

« … comment retrouver le sens profond des mystères et initiations antiques dans un monde qui favorise toutes les formes de « participation mystique », source d’épidémies psychiques collectives dont la dangerosité n’est plus à prouver ?

Comment prendre sur ses épaules le fardeau légué par le christianisme, fossoyeur des initiations mystériques, sinon en revivant soi-même cet autre « mystère » qu’est la Passion de Jésus-Christ ?

Jung fut en effet très tôt convaincu que le christianisme ne reprendrait vie dans les âmes que s’il recouvrait la dimension mystérique et initiatique qu’il eut au temps des gnoses, et dont l’absence ne peut conduire qu’à une fade « Imitation de Jésus-Christ » […]

Mais au-delà des gnostiques et de la personne de Jung, la question de la « déification » continue à concerner l’homme contemporain, si tant est que l’on prenne au sérieux le fait que l’inconscient collectif soit aujourd’hui activé comme il le fut aux premiers siècles de l’ère chrétienne.

La question dès lors demeure, qu’il faut savoir gré à Marie-Louise von Franz d’avoir posée avec la fermeté et la darté d’esprit qui la caractérisent : Sommes-nous devenus aujourd’hui, deux mille ans après, suffisamment mûrs pour supporter la déification de l’homme, sans oublier notre petitesse et notre obscurité ? » p 184

Le chemin d’individuation

« Ce chemin n’est pas sans danger. Tout bien est coûteux et le développement de la personnalité figure au nombre des choses les plus onéreuses [Jung, Commentaire …, p 35].

La question s’adresse donc à chacun des êtres humains : quel prix êtes-vous prêt à payer pour sortir du mal-être qui est le vôtre – de votre « déficience » diraient les gnostiques – avant même de chercher à savoir ce que pourra signifier pour vous s’individuer ?

Dire que toute chose a un « coût », et les plus rares davantage encore que les autres, revient à sensibiliser l’individu à ses propres priorités : où se situe pour vous la valeur à laquelle vous êtes prêt à tout sacrifier ?

Renouant avec cette logique, Jung retrouve le chemin du « prendre soin de soi » antique à quoi son expérience d’analyste, nourrie par sa réflexion sur les gnoses et l’alchimie, lui a permis d’ajouter un nouveau chapitre.

C’est qu’il ne suffit pas d’être prêt à « payer » pour s’individuer. Encore faut-il avoir au moins quelques-unes des qualités permettant à ce désir de cheminer vers une issue favorable.

Or ces qualités – patience, humilité, endurance – dont Jung a trouvé l’expression chez les alchimistes plus encore que chez les gnostiques, révèlent tout leur potentiel dans l’acte d’œuvrer qui n’a son équivalent ni dans celui de travailler ni même de créer, mais qui résonne par contre à l’unisson de ce qui se passe au cours du processus d’individuation… » p 274

En conclusion

« Ce qui résonne à travers ces quelques figures majeures de la gnose telle que l’a revisitée Jung est toujours l’appel à une conscientisation de l’être humain, en son fond bien proche de l’invitation à l’éveil et à la reconnaissance de son vrai « soi » lancée par les gnostiques :

  • insubordination face à toute institution privant l’individu du droit sacré de « devenir soi » ;
  • refus de voir la foi supplanter la connaissance quand elle n’est pas source de transformation psychologique et d’épanouissement spirituel ;
  • conception novatrice de l’éthique et vision de l’unité du monde qui, si elle n’est pas pleinement pléromatique, bouleverse le rapport au monde au moins autant que la révélation gnostique.

Car c’est bien en terme de « conscience » – jamais assez ample ni assez profonde – que Jung a traduit la notion gnostique de « lumière » dont les mille et une nuances, déclinées par la plupart des textes anciens, mettaient en valeur la plénitude indicible du plérôme. » p 412

Editions Pierre-Guillaume de Roux – 15,5 x 24 x 3,1 cm – 422 pages.

Françoise Bonardel

Philosophe et essayiste, Françoise Bonardel est l’auteur d’une œuvre forte et originale associant réflexion critique sur les religions et la culture. Après l’hermétisme et l’alchimie auxquels elle a consacré plusieurs essais, ce sont ici les gnoses dont elle scrute les enseignements afin de savoir ce que Jung en a véritablement retenu, et surtout quel usage psychologique il en a fait.


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