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Lorsqu’un rêve indique la destination du Dolpo (Népal)

Le témoignage de Karen Guillorel est précieux. L’écoute des rêves et des signaux faibles, le nécessaire repos… Elle évoque une série d’observations qui s’adressent à chacun de ceux qui sont en quête de voyage extérieur ou intérieur.

EFJ Vous vous êtes rendue début 2020 au Népal ?

Karen Guillorel Oui, pour Losar, le Nouvel An Tibétain qui avait lieu du 24 au 26 février 2020. C’est le mot Losar qui a fait que j’ai voulu partir. Parce que Losar résonnait comme « le hasard » en langue des oiseaux. Cela a été un voyage de dérive, de confiance envers le hasard.

Le pivot central, le moment où le voyage a pris une autre dimension, a été clairement donné par un rêve que j’avais demandé volontairement le soir du 23 janvier 2020 pour savoir où je devais me rendre après les festivités de Losar à Bodnath.

Et quel est ce rêve ?

Pour donner le cadre, j’ai demandé ce rêve dans un endroit très beau, à côté de l’une des grottes de retraite de Milarepa. Ce saint tibétain est un ascète et poète qui a vécu au 11e siècle du calendrier grégorien. Il est une figure mythique profondément aimée les populations de culture tibétaine. Après avoir usé de magie noire dans sa jeunesse, pour venger sa mère et sa fille trahies par son oncle, il trouve un chemin de rédemption par l’ascèse et un amour infini pour son maître Marpa.

Pour revenir à mon rêve, j’ai vu un être qui ressemblait au Milarepa des représentations bouddhiques que j’avais déjà vues. Ce personnage de mon rêve m’a invitée à me rendre dans le Dolpo. Alors j’ai mis une logistique en place pour aller au Lac Phoksundo qui est à la frontière entre le bas et le haut Dolpo.

C’était la première fois de ma vie que j’ai été aussi réactive à faire confiance au rêve. Je l’ai eu, j’ai pris ma décision et je suis partie quelques jours plus tard, en vérifiant quand même que c’était raisonnable et ne mettait pas ma vie en danger.

À cette période de l’année, le village du Lac Phoksundo est en hivernage, et les habitants vivent alors dans la vallée, car les yacks n’ont plus d’herbe.

De surcroît, j’avais l’obligation d’avoir un guide et les hébergements manquaient. Si bien que je me suis retrouvée au lac Phoksundo uniquement avec mon guide dans un village vide. Par chance j’ai trouvé une demeure où une scientifique et une artiste népalaises natives du village avaient décidé de passer l’hiver pour filmer des panthères des neiges.

Revenons à votre rêve, vous avez rencontré Milarepa …

Il est souvent représenté en lotus devant une grotte, la main sur l’oreille à la manière des bardes himalayens. Il existe plusieurs représentations de Milarepa, à différents âges. Le jeune homme que j’ai vu dans mon rêve avait des traits extrêmement gracieux.

Je sentais qu’il ne s’agissait pas d’un rêve normal. C’était un rêve qui « crevait ma peau » dans le bon sens du terme. J’avais le sentiment que cela n’émanait pas uniquement de ma psyché. C’était un « rêve de lisière ».

Et au final l’objectif a-t-il été atteint ?

L’objectif du voyage a été atteint, mais je ne savais pas quel était mon but en partant. J’ai d’abord fêté socialement Losar à Bodnath près de Katmandou, puis à Tashi Ling au pied de l’Annapurna dans un village de réfugiés. Mais au Dolpo, je ne savais pas ce qui m’attendait en terme de continuité.

De mon point de vue, j’ai vécu mon Losar personnel dans le Dolpo, au lac Phoksundo.

Avant de partir, je me posais un certain nombre de questions sur ma place dans ce monde au niveau social : que pouvais-je amener à ce monde des humains ? Je sentais que ces questions allaient déboucher vers quelque chose de neuf pour ma réflexion et ma sensibilité, mais je ne savais pas quelle en serait la forme.

Quand je suis arrivée au Dolpo, j’ai découvert ce grand lac qui ressemble à un miroir. En particulier, un arbre était très inspirant dans l’enceinte du monastère Bön qui se trouve sur la falaise au-dessus du lac (Le Bön relève de l’ensemble des religions pré bouddhiques, fortement teintées de chamanisme).

Devant cet arbre, une certaine anxiété s’est dissipée sur ma manière d’être au monde et d’y participer.

Le lac Phoksundo dans le Dolpo, Népal

Ce moment a eu beaucoup de sens. Dans les murmures des drapeaux de prière qui flottent et qui claquent au vent, moi qui me trouvais dans un monastère désert du fait de l’hivernage, j’ai réalisé que je n’étais pas seule : des animaux dont j’ignorais la présence avaient laissé des traces dans la neige …

Et surtout, il m’est devenu évident que, pour être partie prenante de ce monde, il suffisait simplement de… respirer.

Et la suite de votre voyage ?

C’est à ce moment précis que la quête dont je ne connaissais pas l’objectif initial a trouvé sa fin. C’est important de le sentir quand il arrive. Car dans ce type de périple où je suis propulsée par une nécessité intérieure très forte, quand la réponse arrive, il ne faut pas que je continue de voyage, sinon j’ai des ennuis en cascade.

Le fait d’arrêter le voyage lorsque la prise de conscience a lieu est donc un principe que j’observe à présent. Je le sais d’expérience, car malheureusement, j’ai plusieurs fois été opiniâtre dans le passé – et en ai payé le prix. Il serait intéressant de demander à d’autres voyageur.euse.s si il.elle.s observent les mêmes phénomènes.

En tout cas, quand j’ai eu ce sentiment profond sous cet arbre, je me suis dit qu’il me fallait maintenant revenir à moi. Et c’est ce que j’ai fait, je suis redescendue du lac en trois jours de marche puis je me suis reposée car j’étais épuisée.

Et la pratique du rêve m’aide pour cela : de réaliser qu’il est nécessaire d’arrêter le voyage.

Jung l’exprime également, d’une manière différente, ce sont les rêves qui lui ont montré la nécessité du retour …

Je l’ignorais ! Pour mon voyage de Paris à Jérusalem par Istanbul, je suis allée trop loin par fidélité. Parce que quelqu’un me rejoignait en route et que l’on devait continuer le voyage ensemble. J’aurais dû dire : « désolée, le voyage est fini pour moi », car j’avais eu ma réponse, ma prise de conscience juste avant Istanbul, à Edirne.

Mais j’ai continué jusqu’à Istanbul et alors j’ai eu des ennuis sans fin – en particulier de très mauvaises rencontres – et cela a été dangereux pour mon intégrité physique comme psychique. D’autant qu’après 4 mois de voyage à pied, nous passons un cap de fatigue inédit – dans le sens où très peu de gens connaissent l’épuisement de la marche jour après jour sur une période de temps de ce type.

À quoi obéit-on lors de ces voyages ?

Je ne sais jamais vraiment pourquoi je pars. J’obéis comme certain.e.s collègues aventuriers à l’appel du voyage pour des raisons extrêmement mystérieuses. Il me semble que lorsque je cherche à contrôler le but du voyage, cela ne se passe pas forcément bien.

Soit le voyage n’est pas habité, et me laisse une sensation de superficialité très désagréable, soit je cherche à le contrôler et alors, paradoxalement, la situation devient incontrôlable.

Pour ma part, je peux le payer cher parce que dans certains pays comme ceux que j’ai traversés, la situation peut être dangereuse physiquement mais aussi psychiquement. C’est la raison pour laquelle, il me paraît essentiel d’apprendre à entendre un certain avertissement subtil qui permet de s’arrêter à temps et de se reposer.

Cela ressemble dans mon cas à un léger « murmure » annonciateur. À ce moment, je ne dois pas résister. Si le murmure vient, la meilleure option est d’y obéir : « ok … c’est bon j’ai compris (rires), maintenant je vais beaucoup dormir ».

Tout au long de ces voyages la perception du rêve a-t-elle changé ?

Complètement ! Lors de mon voyage à Jérusalem je pratiquais le rêve quasiment comme un sport, sans laisser les rêves transformer la route extérieure et la trajectoire intérieure. Elles se superposent, je pense, mais je l’ignorais encore à l’époque. J’ai découvert qu’il était risqué de sortir de sa propre trajectoire en refusant d’empêcher mes rêves de modifier mon voyage.

Si je devais utiliser une expression poétique, tant que je danse avec le rêve, tant que je me rapproche de cette vitalité-là, il me semble que je suis à l’abri d’ennuis à venir. A condition toutefois de me reposer régulièrement et de ne pas être fatiguée au point de ne plus entendre les signaux.

Si je vois que je suis allée trop loin, et la sortie de route peut être très rapide, je dois m’arrêter et me dire « ok, ce n’est pas ce que je veux, mais ce n’est pas grave. Je vais me reposer et attendre d’avoir le jus nécessaire pour continuer ma route ».

Lors de mes premiers voyages je ne tenais pas compte de ces signaux de faible intensité. Or, il n’y a pas le choix dans les conditions âpres des voyages que j’effectue. En traversant plusieurs frontières (14) et en marchant durant des mois, seule le plus souvent, je suis tout de même très vulnérable face aux éléments naturels et aux mauvaises rencontres humaines, et parfois aussi animales.

L’écoute de ces signaux « discrets » est essentielle pour éviter d’avoir des ennuis – pour tout simplement rester en vie.

Les signaux faibles sont-ils utiles dans la vie de tous les jours ?

C’est la suite du cheminement pour moi. J’ai toujours souhaité que les expériences et acquisitions faites lors de mes voyages, notamment les moments d’étonnement devant les petites ou les grandes choses, puissent s’insérer dans un quotidien. Cela me permet alors, il me semble, d’être extrêmement présente au monde, et de sentir vraiment ma peau et mes os, là, à chaque seconde.

La suite de ma quête c’est cela : j’aimerais être en voyage même en regardant une vidéo dans mon canapé. Mais même si j’ai l’impression de le vivre assez souvent maintenant, pour combien de temps encore ?

Qu’est-ce qui fait que la petite bascule entre cette espèce d’enchantement du quotidien et son « aplatissement » bien connu se produit ? Comment et pourquoi revient-on dans un mode un peu « robotisé », au contact de la réalité des contraintes quotidiennes, mécaniques.

À présent, mais ça ne fait que trois ans, dès que je ne suis plus reliée à mes joies d’enfant, je considère que je me suis sans doute éloignée de moi, que je me suis égarée. Donc, j’essaie d’intégrer la question : « Comment faire pour rire comme une enfant lorsqu’une situation devient ennuyeuse ou pénible ? C’est l’objectif (rires), et c’est possible, je pense. »

Chacun doit suivre son rythme ?

En tout cas, me concernant, c’est une affaire de rythme. Il me semble de manière générale qu’il est nécessaire de connaître son propre rythme.

J’accorde maintenant une grande importance aux heures de sommeil qui doivent être rattrapées dans la semaine-même par exemple. Tous les jours, je comptabilise les heures manquantes pour être consciente d’un éventuel manque de sommeil. J’essaie de conserver cet équilibre à présent.

Karen Guillorel

Karen Guillorel est écrivaine, scénariste, réalisatrice … Pour en savoir plus, vous pouvez visiter son site internet.

Entretien Rêve et voyage

Réalisé par Jean-Pierre Robert au mois de mai 2021.

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